Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)

 

Que d’histoires au sujet de l’identité ! Le mot n’apparait ni dans l’épopée grecque ni dans la tragédie. L’identité à l’époque d’Antigone s’adosse à la lignée et à l’appartenance à une cité. L’identité s’imprégnait de l’enracinement. La famille et la cité rassemblaient sous un étendard virtuel l’intégralité de ce que l’autre devait savoir de soi lors d’une première rencontre. Pendant l’antiquité, personne ne clamait son identité ni ne la promulguait, et nul ne décidait de son identité. Il ne s’agissait pas de mettre un costume. Les hommes relevaient de leur identité. L’identité s’apparentait à une charge, on se devait d’en être digne. Elle statuait l’être et le devenir. L’époque moderne en a fait un enjeu, car elle a transformé l’identité en avoir, une sorte d’acquis dont on peut s’affubler ou se départir. Dans son fantasme moderne de croire que l’on peut tout choisir tout le temps, l’époque moderne a remplacé avec une méthode implacable l’être par l’avoir. Pourtant cette logique, cette idéologie a ses limites : certaines choses ne se peuvent acquérir, parmi elles : l’altérité. Vivre son identité, être ce que l’on est, habiter son nom, permettre l’intimité et donc la connaissance et l’approfondissement de son être, voilà les conditions sine qua non d’une rencontre avec l’autre. La première différence entre Créon et Antigone se situe à cet endroit précis, le terrain sur lequel se bâtit le combat, Antigone préserve ancré en elle ce don des anciens, des dieux, cet enracinement qui définit l’autorité à laquelle elle s’adosse pour tenir tête à cet homme, son parent, le roi, qui épouse la volonté de puissance et se trouve aveuglé par elle jusqu’à ne plus entendre que sa propre voix, son écho. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)”

Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)

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3ème partie : le destin

L’homme descend de l’arbre. L’homme, comme l’arbre, se définit aussi bien par ses racines ou par ses fruits. L’homme, comme l’arbre, dépend d’éléments extérieurs et intérieurs pour atteindre la maturité. L’homme ressemble à ce tronc sculpté par les épreuves s’appuyant sur ses racines et portant des fruits plus ou moins beaux, plus ou moins bons… Les ressemblances entre le monde végétal et l’homme sont infinies. De l’eau qui nourrit les racines au soleil arrosant les fruits, à l’oxygène exsudé par les feuilles, toute cette vie qui s’engouffre et circule nous rappelle de manière irrémissible la condition humaine. L’arbre est une métaphore de la famille. De la plantule aux fruits et feuilles, une métaphore de l’histoire de l’homme et de la famille se développe. Quelles fées maléfiques présidaient à la naissance de la famille des Labdacides dont descend Antigone ? N’importe quelle belle conscience de nos jours y verrait une calamité et une explication pathologique des décisions d’Antigone. Comment cette petite Antigone devient-elle ce fruit héroïque en naissant sur un tronc si plein de stigmates et  meurtrissures ? Le destin souffle et guide de manière ininterrompue et obtus cette famille et, soudain, Antigone se libère de ce carcan, libère toute sa famille de ce carcan, elle défait la camisole, et achève de congédier le destin. Quel prodige ! De loin, accrochées à leur branche, deux feuilles semblent toujours identiques, il suffit pourtant de s’approcher pour voir à quel point elles diffèrent. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)”

Antigone, insoumise et intime (2/7. Les funérailles)

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2ème partie : Les funérailles

— « Ma bien chère Ismène. Je viens ce matin te dire que je me suis occupée de tout. J’ai pris les mêmes pompes funèbres pour nos deux frères. Je ne pouvais pas choisir et comme nos frères n’ont pas laisser de dernières volontés, j’ai pris les choses en main pour que ce soit réglé au plus vite. J’ai tout de même commandé un thanatopracteur afin qu’ils soient présentables. Si tu veux aller les voir, ils seront prêts vers 15 heures. Tu n’es pas obligée. Enfin, si tu peux prendre dix minutes, ça peut être bien. Il vaut peut-être mieux garder une image d’eux heureux, enfants par exemple. J’ai pris le même modèle d’urne pour les deux. Un prêtre viendra au funérarium et fera un petit laïus avant la crémation. J’ai commandé sa venue aux pompes funèbres. Tu vois, je me suis occupée de tout. Etéocle sera enterré au cimetière qui est situé à une trentaine de minutes de Thèbes en prenant la nationale. Pour Polynice, c’est plus compliqué avec la loi de notre oncle, Créon. J’ai décidé de répandre ses cendres sur le champ de bataille comme le roi ne veut pas qu’il soit enterré. Ça fait sens, non ? Dis-moi ce que tu en penses, je ne suis pas arrêté sur ce point. » Ce portrait d’Antigone vivant au XXIe siècle livrant les dépouilles de ses frères au chargé des pompes funèbres résume le rite des funérailles de nos jours. La famille a été depuis la Révolution industrielle rendue improductive. Les funérailles ne s’inscrivent guère plus dans la tradition familiale. Le monde moderne se rassérène en employant la formule faire sens, comme la traduction de l’expression anglo-saxonne se fait entendre de nos jours, et comme il est si réconfortant de se le répéter sans que cela ait vraiment de… sens, car qu’est-ce que ces mini-sens trouvés sur le sol presque par hasard, qu’est-ce que ces sens peau de chagrin qui s’invitent sans qu’on n’y soit pour rien ou presque, sinon les résidus d’un sens passé, d’un sens commun, d’un bon sens sculpté par les siècles ? À travers la destruction de la famille, la transmission entre les générations fait défaut, le sens de nos actes se perd, il faut donc inventer du sens, il faut fabriquer du sens, il faut se donner l’illusion de vivre encore, de ne pas avoir totalement abdiqué. La supercherie s’adosse à l’ignorance, et sur ce point aussi, la filouterie ne date pas d’un jour. Le sens donné par la mort au sein de la famille, ce sens presque totalement oublié de nos jours, est rappelé par Antigone dans la pièce de Sophocle où elle se dresse comme une gardienne des valeurs qui libèrent, car elles protègent l’homme de l’animal. Antigone réaffirme ce que l’homme peut et ne peut pas ; elle s’empare d’une force destinée à nous protéger de notre volonté de puissance et à nous apprendre le temps des responsabilités ; un temps de nos jours confié à des spécialistes certifiés remplaçant de la famille, des personnes qui la composent et des liens ténus tissés entre elles par le temps.

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Actualités de Hyppolite Taine

C’est un cuistre, le cuistre c’est l’esprit creux et gonflé qui parce qu’il est plein de mots se croit plein d’idées, jouit de ses phrases et se dupe lui-même pour régenter autrui. C’est un hypocrite qui se croit sincère, un Caïn qui se prend pour Abel.

 

Dans ce cerveau rétrécit, livré à l’abstraction, et accoutumé à parquer les hommes en deux catégories sous des étiquettes contraires, quiconque n’est pas avec lui dans le bon compartiment est contre lui dans le mauvais, et dans le mauvais compartiment entre les factieux de tous drapeaux et les coquins de tout de grée, l’intelligence est naturelle. […] Tout aristocrate est corrompu et tout homme corrompu est aristocrate.

 

La gauche qui naît à la Révolution affiche un totalitarisme qui, s’il est larvé parfois, n’en est pas moins toujours présent ; il repose sur la haine de ce qui ne pense pas comme elle.

Hyppolite Taine dans ses Origines de la France contemporaine décrivait ainsi Robespierre. Mais si à la place de Robespierre, on mettait Hollande, Valls, ou pis encore Taubira, ce portrait leur irait comme un gant. D’autant que cuistre est masculin et féminin, il place ainsi tout le monde devant un pied d’égalité, cette notion si chère à ces… cuistres.

Antigone, insoumise et intime (1/7. La famille)

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1ère partie : la famille

Dès la première lecture d’Antigone, une ambiguïté s’installe dans l’esprit du lecteur. Antigone incarne-t-elle l’action ou la réaction ? Qu’est-ce qui meut Antigone ? La réaction n’existe jamais par elle-même alors que l’action n’a besoin de personne, elle se légitime dans l’acte. L’action inaugure toujours quelque chose. À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’attend pas Créon pour être Antigone. À l’instar d’Electre pour la vengeance, de Nausicaa pour l’accueil, de Pénélope pour la fidélité, Antigone incarne le devoir. Elle est action, car elle sert : elle s’accomplit dans le devoir. Elle s’accomplit dans la servitude (feindrait-on d’oublier que servitude signifie « être esclave » ?). À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’est jamais un individu. Elle ne se dresse jamais seule. Si la loi de Créon la pousse à l’action, et si celle-ci peut paraître une réaction, c’est seulement en surface, par simple chronologie.

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Simone de Beauvoir sur la vie humaine

« Déclarer que la vie est absurde, c’est dire qu’elle n’aura jamais de sens. Dire qu’elle est ambiguë, c’est décider que son sens n’est jamais fixé, qu’il doit toujours être gagné.* »

Formidable déclaration d’impuissance drapée dans une expression de la volonté de puissance ou comment l’envie doit régler, régenter la vie. Cette phrase est bien sûr un manifeste révolutionnaire. Simone de Beauvoir définit la lutte des classes et toutes les actions de la gauche depuis la Révolution française : l’envie comme acte de foi. L’envie est toujours fille de l’immanence. Simone de Beauvoir nous dit : « Dieu est mort, sachons à présent que nous sommes maîtres de nos vies et qu’elles s’accomplissent dans l’action. » En agissant ainsi Simone de Beauvoir fait fi de la religion mais aussi de la philosophie antique, elle affirme que la lutte permanente est la seule voie. Cette lutte permanente est entretenue par l’envie ; l’envie a cette force immarcessible, elle se nourrit aussi bien de ses défaites que de ses victoires. C’est la force maléfique par excellence. Elle affronte la vie.

La philosophie de la vie de Simone de Beauvoir est adulescente comme dirait Tony Anatrella, et de fait, elle est une négation de la vie car elle nie sa qualité et son épaisseur pour la résoudre en une lutte permanente et pathétique.

On y voit aussi la forme du modernisme. Cette action devient immédiatement une négation de la vie intérieure. Ou plutôt elle se veut un remplacement à la vie intérieure car il est fréquent d’entendre, par un spectaculaire retournement de sens, que l’action est la vie intérieure du militant. On comprend aussi que cette déclaration ne souhaite en rien trouver une solution, l’apaisement serait sa fin. Elle ne se complait que dans le vacarme et la violence.

*Une Ethique de l’ambiguïté.

La mort de l’intimité

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Partout, sur Internet, dans les journaux ou à la télévision, l’expérience personnelle s’affiche, s’exhibe et se veut référence. Cette indécence repose sur une inversion des valeurs. Elle se fonde surtout et partout sur l’idée du même. L’idée du même pense : “J’ai vécu cela, mon expérience reflète un sentiment universel. Je veux dire ce que j’ai vécu. Je me pose en témoin incontournable”. C’est confondre l’universel et le général. Ce qui est oublié, incompris, c’est la différence qui réside entre chaque homme ; et chaque homme est singulier. Non pas singulier par ses orientations sexuelles ou par ses manies, mais intrinsèquement. Voilà bien un vieux concept neuf au début du XXIe siècle. Par son expérience, par sa culture et par sa nature, chaque homme montre une facette de l’Homme, et chaque facette est singulière. Créer à l’image de Dieu. Or il nous est impossible, sinon en regardant les hommes et en les considérant comme tous singuliers, d’embrasser Dieu. L’oublie de Dieu ramène au même. Chacun y va de sa contine qui, même si elle peut dire le tragique d’une existence, n’est qu’une contine car elle ne commence même pas à dire le tragique de l’Homme.

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Une petite histoire de l’Envie, du héros au bouc émissaire

4Le monde moderne ne cesse de nous présenter des boucs émissaires. Lance Armstrong, Richard Millet, Jérôme Kerviel, John Galliano, pour ne citer qu’eux, chacun dans un domaine, avec des causes et des raisons complètement différentes, ont récemment incarné le bouc émissaire, le fauteur justement châtié, l’empêcheur de tourner en rond remit à sa place. Le bouc émissaire est lié à l’égalitarisme, lui-même lié à l’envie. Du héros au bouc émissaire, seule l’envie ne change pas. Le monde moderne a le spectacle dans le sang, le bouc émissaire y a une fonction cathartique.

À l’heure de la démocratie moderne, tout passe par Twitter ou Facebook. La vraie information se trouve là. Ne pas être là équivaut à disparaître, à entretenir une vie dans l’ombre, une vie d’ombre. Sur les réseaux sociaux, il est permis le comble de la démocratie moderne : côtoyer l’idole, vivre avec l’idole, au rythme de l’idole, en connaissant tout d’elle, en la voyant au levé du lit, en l’embrassant en guise de bonsoir ; ne manque que le contact tactile. Cette proximité transforme le rôle de l’idole connue depuis toujours, elle le modifie à jamais. Si l’idole était une simple statuette, elle ne parlerait pas, ne répondrait pas, elle n’occuperait que la place qu’on lui laisse, elle rassemblerait sur son effigie toutes les images mentales que le cerveau peut produire. Le monde moderne ne connaît pas l’image mentale, il est au-delà du fantasme. Il hait ce qui est caché, sans parler de ce qui est secret. D’où cette expression souvent utilisée : le fantasme devenu réalité. Le fantasme — phantasmata, l’image mentale pour le Grec antique — ne peut être, ne doit pas être, une réalité. Sinon l’horreur guette. Sinon nous ne pouvons que prier en attendant que tout reprenne sa place. Il y a un ensauvagement possible à côtoyer l’idole de trop près. Par cette proximité, le monde moderne a entrepris de créer un levier cathartique pour contrôler les consciences. L’idole peut être héros ou bouc émissaire, elle peut servir la société du spectacle et sa dictature molle. Elle permet aussi de remplir des cases : héros, bouc émissaire, déchu, condamné, victime… Une feuille de papier à cigarette sépare ces qualificatifs. Sur fond de moralisme, la société abat ses cartes et distribue les bons ou mauvais points. Tous les domaines sont touchés, mais certains plus « populaires » que d’autres sont affectionnés. Le bouc émissaire permet de se refaire une beauté, de donner le change, ou bien d’affirmer sa responsabilité et son incorruptibilité. Mais personne ne doit être dupe de tels stratagèmes. La société du spectacle est un simulacre de société qui repose sur l’intrusion, sur l’indécence et sur la délation.

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Notes sur Histoire du catholicisme

Notes à partir de Histoire du catholicisme de Jean-Pierre Moisset (chapitre 9 : Le choc de la modernité (mi-XVIIIe siècle — 1870).
p 394. Le rituel du toucher des écrouelles à l’issue du sacre, toujours pratiqué, perd de son crédit. De manière symptomatique, la formule d’imposition, la formule d’imposition des mains se transforment. Elle était « le roi te touche, Dieu te guérit » ; elle devient « le roi te touche, Dieu te guérisse ». Un autre signe de la mise à distance des certitudes anciennes et de l’émergence d’un nouveau rapport à l’autorité se trouvé dans la diffusion des pratiques contraceptives à partir du milieu du XVIIIe siècle, toujours en France.

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Notes sur la Révolution française

La plupart des citations concernant la Révolution française données dans cet article proviennent du livre “Historiquement correct” de Jean Sévillia.

Soljenitsyne : « Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres, ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres. »

Il y a une idée révolutionnaire d’invention permanente qui perdure encore de nos jours. C’est une idée qui est aussi contenue dans l’idée de Progrès. Que tout reste encore à inventer. René Guénon disait : ” Il n’y a pas d’idées neuves sur terre. “

Robespierre : « Si Louis peut être le sujet d’un procès, il peut toujours être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? Il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé ; mais si Louis peut être présumé innocent, que devient la Révolution ? »

Westermann à la Convention : « Il n’y a plus de Vendée : elle est morte sous notre sabre libre. J’ai écrasé les enfants sous les pieds de nos chevaux, massacré les femmes qui n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. »

Carrier (après avoir noyé 10 000 innocents dans la Loire) : « Nous ferons de la France un cimetière, plutôt que de ne pas la régénérer à notre façon. »

« Il faut que la Vendée soit anéantie parce qu’elle a osé douter des bienfaits de la liberté. »

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