Rencontre mondaine au Vatican

Rosaire ©James Coleman

En lisant la lettre du Vatican réalisée par Imedia après la visite de Françoise Nyssen avec le Pape François1 .

C’est toujours une surprise de découvrir, comme ce matin, un entretien avec une personne connue ou non, représentative de notre époque, avouant que sa rencontre avec le pape François a été l’un des moments les plus marquants de sa vie, mais n’en tirant aucune action. Comme si ce rendez-vous devait être un moment parmi tant d’autres dans l’océan des souvenirs.

La perte de foi enracinée dans l’homme moderne par la confort

On voit ainsi des gens touchés par la grâce dans leur quotidien, savourer une rencontre, un moment, sentir que cette rencontre ou ce moment ne leur appartient en rien mais qu’ils peuvent en jouir, intuitionnant qu’il vient d’un abandon provoqué par les aléas de la vie, éprouvant la force qui émane de cette rencontre ou de ce moment, tout en n’en tirant aucune action. Ils déclarent : « c’est le plus beau moment de ma vie ! » et ne feront jamais rien pour le reproduire ou pour essayer de comprendre ce qui l’a provoqué ! Cela reste un mystère impénétrable, cette inaction incarne la passivité de l’homme moderne face à sa vie et le peu de foi qu’il porte à sa capacité à la transformer. Cette perte de foi est maintenant enracinée en l’homme moderne occidental, c’est ainsi qu’il va se battre pour des pelures d’orange et passer complètement à côté de l’essentiel. François Nyssen avoue à la fin de l’entretien : « Moi-même je ne suis pas baptisée, mais en sortant, j’ai promis au pape que je prierai pour lui ». Qu’est-ce à dire ? La confusion est totale.

Combien de divans s’avachissent sous le poids des mots ou des silences qui s’agglomèrent dans le seul espoir d’étouffer l’âme ?

Il manque deux choses pour que l’alchimie se fasse. Primo, l’éducation à la vie intérieure. Françoise Nyssen n’est pas baptisée. Elle s’intéresse à la religion puisqu’elle demande une audience au Pape et publie le cher Sébastien Lapaque… De plus, elle a toujours vécu dans les livres, elle connaît donc l’intériorité et la puissance de cette autre vie. Pourtant, rien en elle ne confirme ce sentiment. Elle le regarde comme extérieur à elle, comme quelque chose d’étranger, comme un exotisme, serait-on tenté de dire. Un exotisme attrayant, au fort pouvoir de « séduction » (ou de nostalgie ?), mais pas suffisamment pour tout changer et pour y adhérer. Elle ne ressent pas le manque en elle, même si elle voit très bien l’intérêt de la chose. Elle est repue. Repensons à la phrase d’Ernst Jünger dans « Le Traité du rebelle2 » : « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bêtes de boucherie. » Nous n’avons plus soif de nous découvrir, car nous sommes pleins de nous-mêmes. Le passage de la psychanalyse dans le monde moderne et la place qu’elle a prise remplaçant sacrement, pénitence et vie intérieure marque une stérilisation de notre être profond et des messages que notre âme énonce de plus en plus sporadiquement. Combien de divans s’avachissent sous le poids des mots ou des silences qui s’agglomèrent dans le seul espoir d’étouffer l’âme ? Elle-même n’en voit plus l’utilité, parce qu’elle ne ressent plus d’amour qui, lorsqu’il s’exprime de nos jours, se voit transformé en  intérêt  ou en curiosité… Nous sommes spectateurs de notre vie. Nous y assistons impuissants et lâches. Tout le message du Christ nous incite à l’inverse, à retourner la table pour être libres. Oh ! Il savait bien que nous continuerions à être faibles, cependant imaginait-Il que nous le serions avec tant d’abnégation , avec autant de dévotion ?

Les hommes ont-ils toujours soifs de Dieu ?

Il manque donc la quête, la soif, le désir tout simplement. Et l’entretien de François Nyssen en est vide. Elle suggère bien de faire la cuisine dans l’avion du Pape, mais de vie intérieure il n’en est pas question. Elle ne veut pas changer quand bien même voit-elle les effets dans les livres de Lapaque, dans les yeux du pape, ou ailleurs, avec fugacité quand l’âme se déplie et pousse un peu les meubles intérieurs pour signifier sa présence. Non, elle ne changera pas car elle aime ce qu’elle est et qu’elle n’a pas soif, même si elle voit des gens qu’elle apprécie s’y abreuver, et enfin parce qu’elle ne croit pas que cela puisse changer quelque chose à sa vie ! Et c’est là le plus grave ! Ce péché contre l’Esprit ! Deuxio, que personne ne lui propose d’y boire ! Le pape François veut, il l’a maintes fois répété et montré, ne forcer personne et respecter tout le monde sur le chemin de la foi. Même pas un petit encouragement ? J’ai entendu il y a quelque temps un historien et théologien, expliqué que lors de la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan d’Égypte, sultan Al-Malik al-Kamil, « nous n’étions pas sûrs que le saint ait demandé au sultan sa conversion ». Pour un peu, on nous ferait croire qu’il a pris le risque d’aller le voir pour lui parler des paysages d’Assise… Il faut vivre au XXIe siècle pour entendre de telles inepties ! Pire, y porter crédit. La foi s’affiche mondaine, elle aussi, et il faudra bien se rendre compte qu’elle a adhéré de tous ses pores à la vie moderne et que rien n’a été fait pour l’en empêcher bien au contraire ; elle se noie dans le confort et la condition d’outil domestique pouvant de temps à autre rendre service… On ne sait jamais… C’est dans le vieux pots, parait-il.

La virilité de l’inconfort comme seul refuge

Deux manques pour une non-rencontre : le manque d’éducation à rechercher Dieu en toutes choses et celui de ne plus proclamer Sa parole. Le cinquième mystère joyeux à travers le recouvrement de Jésus au temple, et le troisième mystère lumineux, la proclamation du Royaume de Dieu. Réciter le rosaire chaque jour de sa vie se compare à l’enluminure du manuscrit médiéval, on ne peut plus l’en imaginer dépourvu après avoir tourné une de ses pages. Il aurait été intéressant d’offrir un chapelet à Françoise Nyssen et de l’instruire sur son utilisation et de l’inviter à le réciter. Si elle ne ramène pas à Dieu, toute parole est mondaine. « Moi-même je ne suis pas baptisée, mais en sortant, j’ai promis au Pape que je prierai pour lui. » Voici l’exemple même d’une parole mondaine et déliquescente. Priez, mais qui ? De grands saints l’ont souvent répété : « Si vous priez sans nommer Dieu, sans être certain de vous adresser à Dieu, vous priez le démon. » Or, le démon est mondain. Il est même l’inventeur du concept. Dans ce monde soyeux, seule la virilité de l’inconfort recèle la liberté, elle vaut pour chacun, homme ou femme, c’est l’ultime moyen d’atteindre et de se montrer digne de l’amour de Dieu.

Les dimanches

C’est dimanche ? C’est dimanche !
Humer le jour naissant comme on parle à la cantonade,
Savourer un petit-déjeuner copieux, c’est jour de fête ! Ne l’oublions pas ou plutôt souvenons-nous-en !
Se préparer pour un grand jour, le grand jour !
Écouter un taxi bougon se plaindre du monde comme il ne va pas,
Se distraire de cette conversation, comme de n’importe quelle discussion,
Monter les marches, entrer dans l’édifice et se laisser absorber par lui.
Respirer, reprendre vie comme une plante qui a trop longtemps manqué d’eau et de lumière… S’enraciner.
Prier. Prier ! Aviser et être avisé ! S’écouter aimer ! S’écouter aimé  !
Se plaire avec soi, avec soi absent de soi,
Se sentir de retour chez soi, en terres inconnues de toujours.
Se sentir complètement, entièrement, intensément aimé…
Se demander ce qui mérite cela… S’entendre haleter.
S’entendre signifier la fin de l’éternité. Deo Gratias !
Déplorer la fin de cette aventure qui contient toutes les aventures.
Retrouver le monde après l’avoir oublié, bredouillant et chaotique.
Retrouver les foules, les bruits, le fouillis du monde… tout ce qui n’est pas Lui.
Sanctifier le déjeuner comme s’Il allait s’asseoir là, avec nous.
Savourer une sieste moelleuse où le rêve emporte la raison dans une contrée inconnue, et paradisiaque.
Se réveiller, embrumé, d’humeur disparate, se lever péniblement.
Rabibocher les fils de soi, et d’autres. Recoudre toujours sa vie. Surtout celle à venir.
S’agenouiller, de guingois, tenter de se tenir en oraison.
Rêver saisir l’inimaginable, le sens qui donne du sens au vide.
Trouver mille prétextes à s’enfuir, les écouter tous un par un en leur prêtant une attention particulière.
Croire que la vérité pourrait s’exercer autrement.
Tâcher de retrouver l’essence de ce qui remplissait les heures du matin.
Être dimanche après-midi…
Est-ce encore dimanche ?
Où la magie a-t-elle fui ?
S’ennuyer à des pensées inutiles en espérant que le temps passe plus vite.
S’entendre appeler au loin : « Où es-tu ? »
Craindre, frémir, trembler, pleurer, tressaillir de l’écho terrible…
Se souvenir… Ne plus craindre. Ne plus avoir jamais aucune crainte.
Rêver d’être dimanche matin…
S’halluciner se rendre au rendez-vous et Lui déclarer en chuchotant : « Je suis ici ! »
Rêver ainsi d’être dimanche matin pour renouer avec le merveilleux.

L’oraison, tous les matins du monde.

L’oraison du matin scintille quand le corps tarde à se dégourdir pour honorer ce nouveau jour. La main retourne les couvertures, sommées d’attendre la révolution du jour pour retrouver une utilité. Rejetées, froissées, elles s’affaissent, renversées sur le lit quand le corps se dresse dans la splendeur du jour naissant. Moment éternel qui se reproduit tant que la vie coule dans les veines et procure ce souffle dont l’absence rime avec la mort. Le corps s’ébranle et épouse la pénombre pour glisser sur le matelas et laisser les pieds toucher le sol. Ce sol ne vacille-t-il pas ? L’habitude provoque la sombreté de la pièce en lui niant son mystère. La main trouve le pantalon et le pull-over qui habilleront le corps maladroit de retrouver le mouvement quand il s’était habitué à l’immobilité de la nuit. Soudain, l’espace a des volumes définis et précis auxquels il vaut mieux ne pas s’affronter. La noirceur veille pour ne pas perdre ses fortifications et espère regagner un peu de terrain dans sa lutte contre le jour et contre l’acuité visuelle qui s’adapte doucement au manque de luminosité.

Le couloir se prolonge. Il permet de cheminer vers l’aventure, la plus grande de la journée. Quelques pas, et le couloir se termine. La salle de bain. Un peu de lumière. Très peu. Il faut se réveiller, mais ne réveiller personne. Ce rendez-vous tous les matins du monde revient, intime, sans aucun étalage. Le corps découvre le jour naissant, il a laissé la nuit et son océan d’inconscience pour se baigner à la source nouvelle.

La pièce de l’oraison, enfin. La petite lumière qui glisse et dévoile l’icône en triptyque, une Vierge à l’Enfant, entouré des archanges Michel et Gabriel. Une douce lumière comme un soleil couchant de Méditerranée. La descente à genoux sur le prie-Dieu révèle le moment de vérité. Les genoux craquent et demandent pitié. La force musculaire déployée pour descendre sur le coussin usé déposé sur le bois du prie-Dieu permet que les membres se familiarisent de cette nouvelle position. S’affaisser tout en gardant la dignité requise par la prière. Laisser le regard fleureter sur l’autel composite. Contempler la lumière boisée de la lampe sur l’icône craquelée. Voir le visage du Christ sur ce tableau du XIXe siècle et son doigt indiquant avec discrétion son cœur miséricordieux. Reconnaître la Trinité d’Andreï Roublev. Penser au génie de Tarkovski et à tous les fols-en-Christ. Laisser son esprit vagabonder comme dans un roman d’Antoine Blondin. Revoir ce contrat mal signé, le chaos du travail et des relations humaines. Tenter d’ignorer ces genoux qui grincent et demandent du réconfort. Oublier cet appel téléphonique dont chaque mot retentit comme un coup de massue. Se laisser gagner par quelques notes de désespoir sur la vie après cette horrible journée de la veille où tout un travail de plusieurs semaines a été réduit à néant. Regretter cette fatigue qui n’en finit pas et qui aspire à être balayée par des vacances qui n’apparaissent pas à l’horizon… Comment tant de pensées tournent et virent dans le crâne humain qui ne peut pas cesser de brasser et de cajoler ses idées, ses concepts, cette manière de monde, les journées passées, celles à venir ? Quelle merveille que ces sens, toutes ces impressions visuelles ou tactiles ou sonores ou goûteuses ou odorantes reviennent et forment la mémoire, là où loge l’esprit. Quelle poésie !

Les pensées effacent toute douleur des genoux ou de l’arthrose qui s’y colle comme un coquillage à son rocher. Mais, après l’orage des souvenirs et des espoirs, vient le temps de l’espérance et de la souvenance. Il déborde les souvenirs et les espoirs de cent coudées, en profondeur, en longueur, en largeur, et en hauteur. À vrai dire, il est très difficile de dire de combien il les dépasse, car rien ne permet de les comparer. L’âme ressent une onde de choc à l’idée de cette comparaison. Rien ne peut être comparé à l’espérance et à la souvenance. Ce serait comme comparer le ciel à la terre. Ce ne serait pas convenable. Comment les personnes qui ne croient pas peuvent-elles vivre ainsi, en omettant leur âme ? Comment peuvent-elles les couvrir avec tant d’artifices qu’elles ne résonnent plus assez fort pour les réveiller ? Cela dépasse l’entendement.

L’oraison passe au crible et au tamis les premières idées. Celles qui résonnent et descendent dans une caverne sans fond. Celles qui continuent de résonner quand on ne les entend plus. Idées d’outre-tombe qui modifient le quotidien, qui l’influencent et l’approfondissent. Dans quel temps et quel espace s’exprime la vie ? On la croit ici et elle est là. On la pense lointaine, absorbée dans la théorie, et la pratique remporte les suffrages en embrassant pensées et actes. Nous sommes absents à nous-mêmes. Si souvent. De manière si prégnante. Laissons-nous tranquilles. Et, si nous réussissons, si nous nous laissons absorber par cette aube qui piétine et gémit, qui enfante du jour et de la vie, l’amour arrive sans crier gare et nous enveloppe et nous épouse. C’est le fruit de l’oraison. Il y a un moment provoqué qui n’attend que nous malgré nous. De ce moment, personne n’en revient le même. Un moment d’où l’on ne revient plus vraiment donc. La beauté de ce corps à corps dont seul l’amour sort vainqueur ordonne le monde. On voudrait ainsi l’éviter, parce que le temps manque, qu’il y a tant à faire, que les secondes ricochent les unes sur les autres, que le monde nous commande et que nous sommes victimes de notre structure déliquescente.

Quelquefois aussi, lorsque les pensées se dissipent, l’attente nous désespère. Le rendez-vous est manqué. Un participant se fait attendre. L’esprit le réclame pourtant. On attend et on s’impatiente. On en viendrait à regarder l’heure. On trépigne. Jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que ce n’est pas le bon endroit, que l’on s’est trompé, que l’on s’est fourvoyé. D’expérience, nous devrions savoir que si le rendez-vous n’a pas lieu, ce n’est jamais de Sa faute, mais de la nôtre. Nous ne nous sommes pas rendus disponibles. Le seul moment de nos vies où nous nous devons d’être absents pour y assister.

Jamais la créature ne se révèle autant créature. Toutes faiblesses affichées. Toutes fragilités exhibées. Plus rien ne protège, car rien ne pourrait ternir le moment. Le jour qui se glisse et se confond avec la veilleuse. Les ombres furtives qui glissent sur le visage de la Vierge. Le glaive de saint Michel qui luit prêt à servir. Le zertsilo de l’archange Gabriel où le Christ se mire indiquant la voie toujours à venir, à imiter. Toutes ces pensées, ces émotions, ces sentiments nourrissent et se nourrissent, soucieux de leur importance. Aucun ordre ne les régit. L’immensité de ce qu’ils révèlent et la petitesse de leur contenant effraient, mais subjuguent aussi. Tout ce qui s’est dit, ce qui va se dire, ce qui ne s’est pas dit, ce qui aurait pu se dire, se concentre et s’extrait pour se réduire à rien. L’oraison ne fait que commencer. Elle s’annonce. Les yeux se ferment. On entre à tâtons en soi. Il y a là un sanctuaire qui inquiète. Trouvera-t-on ce que l’on vient chercher ? « Seigneur, dans le silence de ce jour naissant, je viens vous demander la paix, la sagesse et la force… » Il faut n’y rien venir chercher pour y trouver chaque chose nouvelle. Les mots, soudain, agonisent. Ils ne font plus le poids. L’oraison commence. Elle éteint tout ce qui n’est pas elle, le silence. La profondeur du silence. L’intensité abyssale du silence. Le silence qui achève tout ce qui se trouve en sa présence. Le silence qui règne pour son maître : l’amour. Alors, commence l’oraison, quand l’amour se déploie et remplit chaque veine, chaque organe, chaque fibre de l’être pour établir la préséance du Créateur sur la créature. Plus rien d’autre n’existe. Le cœur inondé de joie. Plus rien d’autre ne peut exister, car tout est incongru si on le compare à ce moment-là, qui n’est ni un sentiment, ni une émotion, ni une pensée. L’univers diminue et s’abrège. Là est un moment qui n’existe pas, mais qui se reproduira au prochain abandon. Là est un moment qui donne à la vie toute son importance. Là, au cœur de l’oraison vibre l’amour, joyau dont nous disposons tous, mais non pas en s’échappant, en s’abandonnant. Rien n’y est acquis, tout y est offert. Peu à peu, en n’y accédant plus, nous nous sommes persuadés qu’il n’existait pas ou qu’il n’existait plus. Il ne résistait pas à la science trouvait-on, cette nouvelle religion. Nous l’avons même brocardé, car il ne suffisait pas de l’oublier, il fallait le dénigrer. Pourtant, quiconque s’y laisse capturer, s’y transforme, s’y métamorphose. S’y refuser revient à mourir à petit feu. Mourir à Lui. Pour toujours.

L’oraison infléchit toute vie en lui restituant sa simplicité, le merveilleux.

Exil, migrants et Saint-Père (2)

Réflexions aux différents propos du Saint-Père concernant les migrants

Les migrants qui arrivent de nos jours en Europe ne fuient pas tous une situation catastrophique. Ils arrivent souvent en brandissant de grands sourires. Ils ne semblent pas tous miséreux. Ils ne montrent aucune nostalgie de leur pays et arrivent en nombre pour retrouver un autre nombre. La mélancolie est absente, car compensée par le communautarisme qu’ils importent et qu’ils retrouvent. Enfin, ils voyagent en célibataires, sans femmes ni enfants, ce qui devrait intriguer. Pour le moins. Qu’il y ait une volonté derrière cela paraît évident, même si l’étiquette complotiste sera brandie à cette phrase. Les migrants à l’ancienne, quittait une situation défavorable pour trouver non pas le confort, mais plutôt pour échapper à l’enfer, sans être sûrs de trouver un réconfort, mais armés de l’espérance comme je l’ai dit plus haut. Ils partaient avec femmes et enfants, car ils voulaient les protéger. Le sentiment national a disparu de chez les migrants modernes, sont-ils a-nationaux ? Si c’est le cas, qu’est-ce qui pourrait les rendre a-nationaux, une supra-nationalité ? Où trouvent-ils l’argent pour faire la traversée ? Pendant la guerre en Irak, des autorités religieuses chrétiennes avaient noté que des passeports et des visas avaient été largement distribués, là où, avant-guerre, il était extrêmement difficile d’en avoir un. Enfin que la majorité de ses migrants soient musulmans devrait aussi interroger. Quand on sait qu’un musulman doit mourir (et donc vivre) sur une terre musulmane, on ne peut que se poser la question de leur manque d’envie de rejoindre une terre musulmane. D’autant que celles-ci sont souvent bien plus proches géographiquement que l’Europe. Autant de questions que le pape François ne pose jamais. Autant de questions qui semblent pourtant tomber sous le sens.

Exil, migrants et Saint-Père

Il suffit d’écouter la musique envoûtante de quelques tangos, Carlos Gardel, bien sûr, Astor Piazzolla aussi, et d’autres, qui ont ainsi chanté l’exil, le lointain, l’inaccessible, pour chasser leurs vagues à l’âme, leur mélancolie et vivre le temps d’une chanson dans le bonheur conjugué de leurs souvenirs et de leurs espoirs, pour ressentir la détresse de celui qui croit avoir perdu son pays pour toujours.

Cette conjugaison s’intitule l’espérance. Là où l’âme vibre de se sentir vivante. Le pape François en bon Argentin ressent dans ses veines la migration de ses aïeux vers cet eldorado, l’Argentine. Que cela modifie sa vision du migrant, dont le nom trop générique indique dès le début la difficulté d’en parler, est indéniable et s’avère une clef pour comprendre ses discours erratiques sur le sujet.

L’exil force l’âme à se dévoiler, et à voiler. À dévoiler certaines choses en soi que l’on ne savait pas, que l’on ignorait, que l’on gardait cachées par peur de ce qu’elles pouvaient receler. Face à l’exil, elles sortent de soi comme de rien, deviennent ce qu’elles ont toujours été, et nous dominent. Quel mérite forgé par l’exil en nous, souvent malgré nous, car nous nous y refusions ! L’exil fait tomber une barrière souvent érigée dans l’urgence et sans véritables réflexions. L’homme est un animal à réaction. Lorsqu’il évolue dans son élément habituel, il réagit le plus souvent à ses propres démons, des ressentiments et des mouvements d’humeur. Lorsqu’il sort de son cocon, il réagit pour survivre s’appuyant sur ce en quoi il croit, souvent le fruit de sa culture, mais sa nature n’y est pas étrangère non plus. Cet enracinement le préserve la plupart du temps de la déception de soi, mais pas de la mélancolie, le mal du pays.

L’expression, les voyages forment la jeunesse, provient de cette expérience. L’exil oblige le cœur, l’esprit et le corps à communiquer différemment avec l’âme qui se dévoile donc, mais qui demande aussi à voiler des pans de notre personnalité qu’elle tenait pour acquis. Quelquefois, ce sont des pans dévoilés qui viennent voiler d’autres pans. Ce que nous croyons se révèle surestimé.

En exil, les certitudes renaissent, nouvelles.

Lettre au Pape François au sujet de la messe

Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.

Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.

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Benoît XVI au Paradis !

— Est-il matin ou soir ?
Mon souffle se coupait, puis il reprenait. Comme s’il donnait signe d’une défectuosité. Il me lâchait. Le pneuma me quittait. J’ai soufflé que j’étais prêt. Mon Dieu que j’aime ! Mais, le souffle revint, l’air de rien, comme s’il s’était absenté pour faire une course. La memores est sortie. Je savais que G. allait arriver. J’espérais que mes dernières forces durent jusqu’à son retour. Je l’attendais pour entrer en agonie. Je ne ressentais aucune tension. Je crois que tout s’est fait rapidement ensuite. Le temps se bouscule. J’entendais différents sons qui ne paraissent pas appartenir tous au même univers. Cela me donnait une vague torpeur comme on en ressent lorsqu’on est comateux. Des sonorités venant de plusieurs dimensions.
G arriva avec deux sœurs, mes petites memores qui avaient si bien pris soin de moi toutes ces années. J’entendais parfaitement ce qui se disait. L’âme a des oreilles, n’est-ce pas ? Je jaugeais quels témoins seraient présents lors de mon jugement. J’interrogeai mon ange, mais il ne répondit pas. Était-il déjà appelé pour paver ma route ? J’entendais G. qui de sa voix mélodieuse me parlait pour me rassurer, mais je ne pouvais pas lui répondre. C’est certainement ce qui le décida à me bénir et à m’offrir le dernier sacrement. Ma voix ne sortait plus. J’ai compris que cette fois, elle ne sortirait plus jamais. Ma voix sur Terre s’éteignit à cet instant. Cela commençait ainsi. Elle m’avait déjà trahi, cependant cette fois, je compris que c’était définitif. Je ne mis plus aucune force à la faire changer d’avis. Je sentais que des parties de moi devenaient ainsi indépendantes de moi. Je voulais redire : mon Dieu que j’aime ! Je le dis sans voix. Du regard, G. me comprit. L’âme a des oreilles. G. s’agenouilla à l’instant où j’eus l’impression de glisser. Je me souvins de moi, enfant, glissant sur une mare d’eau glacée et me retrouvant sur les fesses, tournant sur moi-même. Mes yeux se fermèrent sur ce souvenir délicieux de maman et papa riant aux éclats de ma chute, mon bien cher frère riait lui aussi à leurs côtés, puis il m’aida à me relever. Mes chers parents qui m’avaient donné la vie à une époque difficile et qui, au prix de grands renoncements, m’avaient préparé par leur amour un merveilleux foyer.
Tout s’est fait très vite. J’ai quitté mon corps. J’ai compris que l’âme était le véritable je. Je sentais toujours mes membres. C’était étrange. J’ai senti quelqu’un venir. Tout allait très vite. Une personne approchait. Il m’était familier. Comment le savais-je ? C’était comme un nouveau sens qui précédait tous mes sens perdus. Je connaissais celui qui venait même si je ne voyais personne, d’ailleurs ma vue se brouillait, elle devenait confuse, mais je savais, je sentais que quelqu’un se tenait debout devant moi.

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Le Paradis perdu de Sébastien de Courtois


Il existe une nostalgie d’un paradis perdu. Nous la ressentons tous, plus ou moins ; elle nous rattache au Péché originel et à la chute. Cette maladie tourmente les âmes pures. Elle gite et agite. Maladie de la jeunesse s’il en est, folie romantique, cette nostalgie est au cœur du roman de Sébastien de Courtois, L’ami des beaux jours.

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La tradition sert à ne pas oublier

La tra­di­tion oblige à une con­ver­sion per­ma­nente. La tra­di­tion n’est pas une sinécure ! La tra­di­tion demande un effort de tous les instants. Et même le plus impor­tant des efforts : ne pas oublier. La tradition sert à ne pas oublier et demande que soit réalisé un effort répété pour se souvenir. Elle ne peut exister autrement que par ce mouvement de va et vient entre le sens qu’elle donne et la compréhension de ce sens à travers son actualité.

Prière de l’artisan

Prière monastique du XIIe siècle
Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler…
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage. Aide-moi au cœur du labeur… Et surtout comble toi-même les vides de mon oeuvre : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres et un défaut de moi pour parler moi-même.

Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil…

Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout travail est vide sauf là où il y a amour…

Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras et toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient et qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant… Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien et à ta gloire, c’est tout de suite.

Amen