Rencontre mondaine au Vatican

Rosaire ©James Coleman

En lisant la lettre du Vatican réalisée par Imedia après la visite de Françoise Nyssen avec le Pape François1 .

C’est toujours une surprise de découvrir, comme ce matin, un entretien avec une personne connue ou non, représentative de notre époque, avouant que sa rencontre avec le pape François a été l’un des moments les plus marquants de sa vie, mais n’en tirant aucune action. Comme si ce rendez-vous devait être un moment parmi tant d’autres dans l’océan des souvenirs.

La perte de foi enracinée dans l’homme moderne par la confort

On voit ainsi des gens touchés par la grâce dans leur quotidien, savourer une rencontre, un moment, sentir que cette rencontre ou ce moment ne leur appartient en rien mais qu’ils peuvent en jouir, intuitionnant qu’il vient d’un abandon provoqué par les aléas de la vie, éprouvant la force qui émane de cette rencontre ou de ce moment, tout en n’en tirant aucune action. Ils déclarent : « c’est le plus beau moment de ma vie ! » et ne feront jamais rien pour le reproduire ou pour essayer de comprendre ce qui l’a provoqué ! Cela reste un mystère impénétrable, cette inaction incarne la passivité de l’homme moderne face à sa vie et le peu de foi qu’il porte à sa capacité à la transformer. Cette perte de foi est maintenant enracinée en l’homme moderne occidental, c’est ainsi qu’il va se battre pour des pelures d’orange et passer complètement à côté de l’essentiel. François Nyssen avoue à la fin de l’entretien : « Moi-même je ne suis pas baptisée, mais en sortant, j’ai promis au pape que je prierai pour lui ». Qu’est-ce à dire ? La confusion est totale.

Combien de divans s’avachissent sous le poids des mots ou des silences qui s’agglomèrent dans le seul espoir d’étouffer l’âme ?

Il manque deux choses pour que l’alchimie se fasse. Primo, l’éducation à la vie intérieure. Françoise Nyssen n’est pas baptisée. Elle s’intéresse à la religion puisqu’elle demande une audience au Pape et publie le cher Sébastien Lapaque… De plus, elle a toujours vécu dans les livres, elle connaît donc l’intériorité et la puissance de cette autre vie. Pourtant, rien en elle ne confirme ce sentiment. Elle le regarde comme extérieur à elle, comme quelque chose d’étranger, comme un exotisme, serait-on tenté de dire. Un exotisme attrayant, au fort pouvoir de « séduction » (ou de nostalgie ?), mais pas suffisamment pour tout changer et pour y adhérer. Elle ne ressent pas le manque en elle, même si elle voit très bien l’intérêt de la chose. Elle est repue. Repensons à la phrase d’Ernst Jünger dans « Le Traité du rebelle2 » : « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle de bêtes de boucherie. » Nous n’avons plus soif de nous découvrir, car nous sommes pleins de nous-mêmes. Le passage de la psychanalyse dans le monde moderne et la place qu’elle a prise remplaçant sacrement, pénitence et vie intérieure marque une stérilisation de notre être profond et des messages que notre âme énonce de plus en plus sporadiquement. Combien de divans s’avachissent sous le poids des mots ou des silences qui s’agglomèrent dans le seul espoir d’étouffer l’âme ? Elle-même n’en voit plus l’utilité, parce qu’elle ne ressent plus d’amour qui, lorsqu’il s’exprime de nos jours, se voit transformé en  intérêt  ou en curiosité… Nous sommes spectateurs de notre vie. Nous y assistons impuissants et lâches. Tout le message du Christ nous incite à l’inverse, à retourner la table pour être libres. Oh ! Il savait bien que nous continuerions à être faibles, cependant imaginait-Il que nous le serions avec tant d’abnégation , avec autant de dévotion ?

Les hommes ont-ils toujours soifs de Dieu ?

Il manque donc la quête, la soif, le désir tout simplement. Et l’entretien de François Nyssen en est vide. Elle suggère bien de faire la cuisine dans l’avion du Pape, mais de vie intérieure il n’en est pas question. Elle ne veut pas changer quand bien même voit-elle les effets dans les livres de Lapaque, dans les yeux du pape, ou ailleurs, avec fugacité quand l’âme se déplie et pousse un peu les meubles intérieurs pour signifier sa présence. Non, elle ne changera pas car elle aime ce qu’elle est et qu’elle n’a pas soif, même si elle voit des gens qu’elle apprécie s’y abreuver, et enfin parce qu’elle ne croit pas que cela puisse changer quelque chose à sa vie ! Et c’est là le plus grave ! Ce péché contre l’Esprit ! Deuxio, que personne ne lui propose d’y boire ! Le pape François veut, il l’a maintes fois répété et montré, ne forcer personne et respecter tout le monde sur le chemin de la foi. Même pas un petit encouragement ? J’ai entendu il y a quelque temps un historien et théologien, expliqué que lors de la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan d’Égypte, sultan Al-Malik al-Kamil, « nous n’étions pas sûrs que le saint ait demandé au sultan sa conversion ». Pour un peu, on nous ferait croire qu’il a pris le risque d’aller le voir pour lui parler des paysages d’Assise… Il faut vivre au XXIe siècle pour entendre de telles inepties ! Pire, y porter crédit. La foi s’affiche mondaine, elle aussi, et il faudra bien se rendre compte qu’elle a adhéré de tous ses pores à la vie moderne et que rien n’a été fait pour l’en empêcher bien au contraire ; elle se noie dans le confort et la condition d’outil domestique pouvant de temps à autre rendre service… On ne sait jamais… C’est dans le vieux pots, parait-il.

La virilité de l’inconfort comme seul refuge

Deux manques pour une non-rencontre : le manque d’éducation à rechercher Dieu en toutes choses et celui de ne plus proclamer Sa parole. Le cinquième mystère joyeux à travers le recouvrement de Jésus au temple, et le troisième mystère lumineux, la proclamation du Royaume de Dieu. Réciter le rosaire chaque jour de sa vie se compare à l’enluminure du manuscrit médiéval, on ne peut plus l’en imaginer dépourvu après avoir tourné une de ses pages. Il aurait été intéressant d’offrir un chapelet à Françoise Nyssen et de l’instruire sur son utilisation et de l’inviter à le réciter. Si elle ne ramène pas à Dieu, toute parole est mondaine. « Moi-même je ne suis pas baptisée, mais en sortant, j’ai promis au Pape que je prierai pour lui. » Voici l’exemple même d’une parole mondaine et déliquescente. Priez, mais qui ? De grands saints l’ont souvent répété : « Si vous priez sans nommer Dieu, sans être certain de vous adresser à Dieu, vous priez le démon. » Or, le démon est mondain. Il est même l’inventeur du concept. Dans ce monde soyeux, seule la virilité de l’inconfort recèle la liberté, elle vaut pour chacun, homme ou femme, c’est l’ultime moyen d’atteindre et de se montrer digne de l’amour de Dieu.

Les dimanches

C’est dimanche ? C’est dimanche !
Humer le jour naissant comme on parle à la cantonade,
Savourer un petit-déjeuner copieux, c’est jour de fête ! Ne l’oublions pas ou plutôt souvenons-nous-en !
Se préparer pour un grand jour, le grand jour !
Écouter un taxi bougon se plaindre du monde comme il ne va pas,
Se distraire de cette conversation, comme de n’importe quelle discussion,
Monter les marches, entrer dans l’édifice et se laisser absorber par lui.
Respirer, reprendre vie comme une plante qui a trop longtemps manqué d’eau et de lumière… S’enraciner.
Prier. Prier ! Aviser et être avisé ! S’écouter aimer ! S’écouter aimé  !
Se plaire avec soi, avec soi absent de soi,
Se sentir de retour chez soi, en terres inconnues de toujours.
Se sentir complètement, entièrement, intensément aimé…
Se demander ce qui mérite cela… S’entendre haleter.
S’entendre signifier la fin de l’éternité. Deo Gratias !
Déplorer la fin de cette aventure qui contient toutes les aventures.
Retrouver le monde après l’avoir oublié, bredouillant et chaotique.
Retrouver les foules, les bruits, le fouillis du monde… tout ce qui n’est pas Lui.
Sanctifier le déjeuner comme s’Il allait s’asseoir là, avec nous.
Savourer une sieste moelleuse où le rêve emporte la raison dans une contrée inconnue, et paradisiaque.
Se réveiller, embrumé, d’humeur disparate, se lever péniblement.
Rabibocher les fils de soi, et d’autres. Recoudre toujours sa vie. Surtout celle à venir.
S’agenouiller, de guingois, tenter de se tenir en oraison.
Rêver saisir l’inimaginable, le sens qui donne du sens au vide.
Trouver mille prétextes à s’enfuir, les écouter tous un par un en leur prêtant une attention particulière.
Croire que la vérité pourrait s’exercer autrement.
Tâcher de retrouver l’essence de ce qui remplissait les heures du matin.
Être dimanche après-midi…
Est-ce encore dimanche ?
Où la magie a-t-elle fui ?
S’ennuyer à des pensées inutiles en espérant que le temps passe plus vite.
S’entendre appeler au loin : « Où es-tu ? »
Craindre, frémir, trembler, pleurer, tressaillir de l’écho terrible…
Se souvenir… Ne plus craindre. Ne plus avoir jamais aucune crainte.
Rêver d’être dimanche matin…
S’halluciner se rendre au rendez-vous et Lui déclarer en chuchotant : « Je suis ici ! »
Rêver ainsi d’être dimanche matin pour renouer avec le merveilleux.

L’oraison, tous les matins du monde.

L’oraison du matin scintille quand le corps tarde à se dégourdir pour honorer ce nouveau jour. La main retourne les couvertures, sommées d’attendre la révolution du jour pour retrouver une utilité. Rejetées, froissées, elles s’affaissent, renversées sur le lit quand le corps se dresse dans la splendeur du jour naissant. Moment éternel qui se reproduit tant que la vie coule dans les veines et procure ce souffle dont l’absence rime avec la mort. Le corps s’ébranle et épouse la pénombre pour glisser sur le matelas et laisser les pieds toucher le sol. Ce sol ne vacille-t-il pas ? L’habitude provoque la sombreté de la pièce en lui niant son mystère. La main trouve le pantalon et le pull-over qui habilleront le corps maladroit de retrouver le mouvement quand il s’était habitué à l’immobilité de la nuit. Soudain, l’espace a des volumes définis et précis auxquels il vaut mieux ne pas s’affronter. La noirceur veille pour ne pas perdre ses fortifications et espère regagner un peu de terrain dans sa lutte contre le jour et contre l’acuité visuelle qui s’adapte doucement au manque de luminosité.

Le couloir se prolonge. Il permet de cheminer vers l’aventure, la plus grande de la journée. Quelques pas, et le couloir se termine. La salle de bain. Un peu de lumière. Très peu. Il faut se réveiller, mais ne réveiller personne. Ce rendez-vous tous les matins du monde revient, intime, sans aucun étalage. Le corps découvre le jour naissant, il a laissé la nuit et son océan d’inconscience pour se baigner à la source nouvelle.

La pièce de l’oraison, enfin. La petite lumière qui glisse et dévoile l’icône en triptyque, une Vierge à l’Enfant, entouré des archanges Michel et Gabriel. Une douce lumière comme un soleil couchant de Méditerranée. La descente à genoux sur le prie-Dieu révèle le moment de vérité. Les genoux craquent et demandent pitié. La force musculaire déployée pour descendre sur le coussin usé déposé sur le bois du prie-Dieu permet que les membres se familiarisent de cette nouvelle position. S’affaisser tout en gardant la dignité requise par la prière. Laisser le regard fleureter sur l’autel composite. Contempler la lumière boisée de la lampe sur l’icône craquelée. Voir le visage du Christ sur ce tableau du XIXe siècle et son doigt indiquant avec discrétion son cœur miséricordieux. Reconnaître la Trinité d’Andreï Roublev. Penser au génie de Tarkovski et à tous les fols-en-Christ. Laisser son esprit vagabonder comme dans un roman d’Antoine Blondin. Revoir ce contrat mal signé, le chaos du travail et des relations humaines. Tenter d’ignorer ces genoux qui grincent et demandent du réconfort. Oublier cet appel téléphonique dont chaque mot retentit comme un coup de massue. Se laisser gagner par quelques notes de désespoir sur la vie après cette horrible journée de la veille où tout un travail de plusieurs semaines a été réduit à néant. Regretter cette fatigue qui n’en finit pas et qui aspire à être balayée par des vacances qui n’apparaissent pas à l’horizon… Comment tant de pensées tournent et virent dans le crâne humain qui ne peut pas cesser de brasser et de cajoler ses idées, ses concepts, cette manière de monde, les journées passées, celles à venir ? Quelle merveille que ces sens, toutes ces impressions visuelles ou tactiles ou sonores ou goûteuses ou odorantes reviennent et forment la mémoire, là où loge l’esprit. Quelle poésie !

Les pensées effacent toute douleur des genoux ou de l’arthrose qui s’y colle comme un coquillage à son rocher. Mais, après l’orage des souvenirs et des espoirs, vient le temps de l’espérance et de la souvenance. Il déborde les souvenirs et les espoirs de cent coudées, en profondeur, en longueur, en largeur, et en hauteur. À vrai dire, il est très difficile de dire de combien il les dépasse, car rien ne permet de les comparer. L’âme ressent une onde de choc à l’idée de cette comparaison. Rien ne peut être comparé à l’espérance et à la souvenance. Ce serait comme comparer le ciel à la terre. Ce ne serait pas convenable. Comment les personnes qui ne croient pas peuvent-elles vivre ainsi, en omettant leur âme ? Comment peuvent-elles les couvrir avec tant d’artifices qu’elles ne résonnent plus assez fort pour les réveiller ? Cela dépasse l’entendement.

L’oraison passe au crible et au tamis les premières idées. Celles qui résonnent et descendent dans une caverne sans fond. Celles qui continuent de résonner quand on ne les entend plus. Idées d’outre-tombe qui modifient le quotidien, qui l’influencent et l’approfondissent. Dans quel temps et quel espace s’exprime la vie ? On la croit ici et elle est là. On la pense lointaine, absorbée dans la théorie, et la pratique remporte les suffrages en embrassant pensées et actes. Nous sommes absents à nous-mêmes. Si souvent. De manière si prégnante. Laissons-nous tranquilles. Et, si nous réussissons, si nous nous laissons absorber par cette aube qui piétine et gémit, qui enfante du jour et de la vie, l’amour arrive sans crier gare et nous enveloppe et nous épouse. C’est le fruit de l’oraison. Il y a un moment provoqué qui n’attend que nous malgré nous. De ce moment, personne n’en revient le même. Un moment d’où l’on ne revient plus vraiment donc. La beauté de ce corps à corps dont seul l’amour sort vainqueur ordonne le monde. On voudrait ainsi l’éviter, parce que le temps manque, qu’il y a tant à faire, que les secondes ricochent les unes sur les autres, que le monde nous commande et que nous sommes victimes de notre structure déliquescente.

Quelquefois aussi, lorsque les pensées se dissipent, l’attente nous désespère. Le rendez-vous est manqué. Un participant se fait attendre. L’esprit le réclame pourtant. On attend et on s’impatiente. On en viendrait à regarder l’heure. On trépigne. Jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que ce n’est pas le bon endroit, que l’on s’est trompé, que l’on s’est fourvoyé. D’expérience, nous devrions savoir que si le rendez-vous n’a pas lieu, ce n’est jamais de Sa faute, mais de la nôtre. Nous ne nous sommes pas rendus disponibles. Le seul moment de nos vies où nous nous devons d’être absents pour y assister.

Jamais la créature ne se révèle autant créature. Toutes faiblesses affichées. Toutes fragilités exhibées. Plus rien ne protège, car rien ne pourrait ternir le moment. Le jour qui se glisse et se confond avec la veilleuse. Les ombres furtives qui glissent sur le visage de la Vierge. Le glaive de saint Michel qui luit prêt à servir. Le zertsilo de l’archange Gabriel où le Christ se mire indiquant la voie toujours à venir, à imiter. Toutes ces pensées, ces émotions, ces sentiments nourrissent et se nourrissent, soucieux de leur importance. Aucun ordre ne les régit. L’immensité de ce qu’ils révèlent et la petitesse de leur contenant effraient, mais subjuguent aussi. Tout ce qui s’est dit, ce qui va se dire, ce qui ne s’est pas dit, ce qui aurait pu se dire, se concentre et s’extrait pour se réduire à rien. L’oraison ne fait que commencer. Elle s’annonce. Les yeux se ferment. On entre à tâtons en soi. Il y a là un sanctuaire qui inquiète. Trouvera-t-on ce que l’on vient chercher ? « Seigneur, dans le silence de ce jour naissant, je viens vous demander la paix, la sagesse et la force… » Il faut n’y rien venir chercher pour y trouver chaque chose nouvelle. Les mots, soudain, agonisent. Ils ne font plus le poids. L’oraison commence. Elle éteint tout ce qui n’est pas elle, le silence. La profondeur du silence. L’intensité abyssale du silence. Le silence qui achève tout ce qui se trouve en sa présence. Le silence qui règne pour son maître : l’amour. Alors, commence l’oraison, quand l’amour se déploie et remplit chaque veine, chaque organe, chaque fibre de l’être pour établir la préséance du Créateur sur la créature. Plus rien d’autre n’existe. Le cœur inondé de joie. Plus rien d’autre ne peut exister, car tout est incongru si on le compare à ce moment-là, qui n’est ni un sentiment, ni une émotion, ni une pensée. L’univers diminue et s’abrège. Là est un moment qui n’existe pas, mais qui se reproduira au prochain abandon. Là est un moment qui donne à la vie toute son importance. Là, au cœur de l’oraison vibre l’amour, joyau dont nous disposons tous, mais non pas en s’échappant, en s’abandonnant. Rien n’y est acquis, tout y est offert. Peu à peu, en n’y accédant plus, nous nous sommes persuadés qu’il n’existait pas ou qu’il n’existait plus. Il ne résistait pas à la science trouvait-on, cette nouvelle religion. Nous l’avons même brocardé, car il ne suffisait pas de l’oublier, il fallait le dénigrer. Pourtant, quiconque s’y laisse capturer, s’y transforme, s’y métamorphose. S’y refuser revient à mourir à petit feu. Mourir à Lui. Pour toujours.

L’oraison infléchit toute vie en lui restituant sa simplicité, le merveilleux.

Esquisse sur l’autorité ou une définition du progressiste.

À la suite de l’article, Pourquoi cette haine de l’autorité ? j’ai reçu de nombreuses réactions. La première consistait à confondre, ou à me demander de ne pas confondre, le pouvoir et l’autorité. Ici, on peut constater une chose : beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux acquiescent encore à cette différence. Elle marque même pour eux une frontière qu’ils décrètent infranchissable, même si peu d’entre eux s’aventurent à expliquer la différence entre pouvoir et autorité. Et, comme l’article se consacrait en partie à marquer cette différence, peut-être pas cependant comme on a l’habitude de le faire, cela a heurté et provoqué des interrogations. Dans beaucoup de discussions sur X, les commentaires pensaient que cet article défendait Emmanuel Macron ! C’est dire comme on lit en diagonale sur Internet ! Mais, comprenons que le président de la République incarne pour beaucoup de Français une forme autoritaire du pouvoir.

Ainsi, il y avait cette intuition sur l’obéissance : « l’autorité inaugure tout le temps quelque chose de nouveau à travers la maîtrise que l’on peut avoir de ses propres passions. » Dans cette phrase, il est possible de remplacer le mot autorité par dogme. J’évalue lequel de ces deux mots fait le plus peur. L’inversion des valeurs et du sens des mots permet aux progressistes de dire à peu près n’importe quoi et d’en faire… un dogme. Le progressiste ne se nourrit que d’ » idées en l’air » selon la formidable formule de Claude Tresmontant. Si je devais expliquer un peu cette formule, je dirais que le progressiste s’enracine dans sa propre pensée. Il fait évoluer sa pensée pour la faire évoluer tout d’abord, le progressiste fait pour faire, n’obéissant à aucune autorité, il fuit la dépression et la solitude que produit en lui une pensée seulement tournée vers soi-même. Dès lors, il puise dans ses dernières lubies pour en bâtir de nouvelles. Ne voit-on pas la filiation qui existe entre le wokisme et le travail de sape qui a été fait depuis des décennies en France contre ce que l’on a appelé en le dénaturant, le roman national ? Ceux qui auraient été les thuriféraires de gauche de Jeanne d’Arc au début du XXᵉ siècle sont aujourd’hui ses contempteurs et clament qu’elle n’a pas existé ! C’est dire comme le progressisme est une machine à se dérégler toute seule, croyant se corriger, elle ne fait qu’accentuer sa fuite en avant. Les progressistes et la gauche en général sont les vrais réactionnaires de notre époque et le sont de plus en plus, forcés qu’ils sont à cette fuite, car incapables de déclarer leurs torts et leurs erreurs. Ils se trompent et ils trompent. Ils ne font que réagir aux événements sans jamais pratiquer le moindre empirisme, car ils habitent le futur (je dis bien le futur, pas l’avenir, car il n’y a pas d’avenir sans passé, quand le futur représente un but à atteindre qui échappe toujours).

L’autorité inaugure quelque chose de complètement différent. Elle propose de s’adosser au passé pour définir ou redéfinir ce que l’on peut imaginer arriver. Il ne s’agit surtout pas d’un absolutisme, mais plutôt d’un conservatisme. C’est aussi pour cette raison qu’il y a si peu de thèses sur le conservatisme. Il y a beaucoup d’écrits sur la façon de garder, de sauvegarder, de promouvoir, mais moins souvent d’en tirer une vision. Le conservateur a continuellement laissé cette place au progressiste qui s’en délecte, alors qu’il n’a rien de sérieux à y faire. Quelle personne censée aurait proposé de transformer notre démocratie vieillissante et en faillite, vivant sous perfusion, en un système politique de défense des minorités ? Je ne nie pas la protection du faible, je nie que cela devienne le seul motif d’actions politiques. D’autant que le faible du progressiste se cache sous un manteau idéologique nauséabond. En effet, il contient un droit d’inventaire du faible. Il y a faible et faible. Cependant, la politique se mélange très mal avec le sentimentalisme et notre démocratie y est empêtrée. Le conservateur ignore détailler son action, bâtir un grand schéma et le donner à aimer. Parce qu’il est toisé par les moralistes progressistes qui n’ont de cesse de l’emprisonner d’une chape morale qui repose sur un jugement sentimental. Surseoir à ce diktat obligerait à accepter l’étiquette autoritaire, mais cette fois cette étiquette ne serait plus donnée par le peuple comme dans le cas d’Emmanuel Macron — parce que le peuple reconnait l’autorité légitime —, mais par la presse et l’intelligentsia progressiste. Qui s’en plaindrait ?

Ernst Jünger dans Héliopolis rêvait d’une sorte d’État au-delà de la politique dirigée par le “Régent”. Il n’y a aucun régent dans notre monde moderne, juste deux camps qui s’épient sans jamais penser qu’ils peuvent s’apporter quelque chose l’un à l’autre. Cet antagonisme est de plus en plus visible à tous les étages de la société. Il indique une perte de goût commun, un manque de culture croissant, et un langage atrophié qui, est réduit à sa plus simple expression — tout au moins, à sa plus simple utilité, comme la langue américaine. L’américain fait au français ce qu’il a fait à l’anglais, il l’épuise —, ne sait plus exprimer les nuances que le dialogue demande. On étiquette et on classe chacun en fonction de ce qu’il pense ou croit ou vote. La discussion devient une perte de temps, et comme les participants manquent de tout sens, le dialogue ne peut en acquérir. Il y a une fatalité en cours, une façon de destin.

Le destin séduit et ensorcelle les hommes quand ces derniers ne croient plus à la liberté. L’Occident ne croit plus en la liberté, parce qu’il ne croit plus en Dieu. Notre civilisation a su au cours des âges, tisser des liens remarquables devenus inextricables avec la liberté, tirer sur un fil qui dépasse revient à anéantir notre monde. L’héritage refuse le droit d’inventaire.

Pourquoi cette haine de l’autorité ?

L’autorité ressemble à ces agents secrets chers à Graham Greene qui dissimulent leur identité pour ne pas la perdre davantage lors d’une mauvaise rencontre. Elle a encore quelques adorateurs qui l’affectionnent et déploient des trésors d’ingéniosité pour la définir, la redéfinir, pour qu’elle soit comprise de son époque. Pour cela, ils la rapprochent de la tradition, de l’honneur, de la hiérarchie, de la loi naturelle… ils n’ont de cesse de lui donner une canne, des béquilles, un trépied, pour qu’elle puisse encore sortir de sa cachette et prendre l’air. Les mots auxquels ils rattachent l’autorité ressemblent à des pansements, des cautères, qui, au bout du compte, la dissimulent un peu plus. Le désamour est prononcé depuis un long temps et s’accentue. Rien ne peut sauver l’autorité, tout ce qu’elle inspire rappelle des vieilleries dont on sait se passer. Elle ne sert à rien. Elle ne sert de rien.

L’autorité, dans son sens latin, vient d’auctor qui signifie celui « qui accroît », et de auctoritas, qui a « pouvoir d’imposer l’obéissance ». L’autorité s’assimile au pouvoir, ce que l’on oublie en séparant le pouvoir et l’autorité. En revanche, c’est un pouvoir sans pouvoir, elle ne contraint pas. Son champ d’action naît de l’éthique, du savoir, de la croyance… Car elle requiert l’obéissance. C’est là que l’on commence à buter sur son sens, car l’époque n’aime pas bien l’obéissance. Et, comme l’époque n’apprécie guère plus la croyance, elle dénigre l’autorité. Elle la dévalue, elle l’identifie à un pouvoir lâche et aveugle. Elle lui administre un surnom qui est devenu un sous-entendu : autoritarisme. Comme pour révéler ce qu’elle cache sous son masque de mansuétude : un caractère brutal, violent et instable. Il faut la démasquer. Il faut la calomnier. Il ne faut surtout ne plus rien comprendre, et qu’est-ce que ne rien comprendre sinon une nouvelle forme de croyance ? L’autorité impose des limites dont plus personne ne veut plus, qui obligent et empêchent d’être ce que l’on désire. L’époque pense que c’est en étant ce que l’on désire que l’on sera ce que l’on mérite. L’individualisme règne en maître, et sans partage. Personne ne sait mieux que soi ce qui est bon pour soi. Qu’on se le tienne pour dit ! Comme il fallait faire fi des limites et de la hiérarchie, l’époque balança l’autorité au rebut après l’avoir mise au piquet. L’autorité catalysait la modernité. Il fallait la mater.

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Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?

Il y a maintenant plus de cinquante ans, l’Église catholique se dotait d’une nouvelle messe qui rompait d’une manière encore jamais vue avec la tradition de l’Ėglise. Les réformateurs n’avaient cependant pas prévu que la messe traditionnelle leur perdure. Ils étaient même persuadés du contraire. Et ils utilisèrent tous les moyens en leur possession pour arriver à leurs fins : la suppression de la messe romaine traditionnelle1 Pourtant, force est de constater que cette messe continue d’attirer de nombreux fidèles, et parmi eux, des jeunes gens qui s’engagent, comme priants, comme séminaristes, à célébrer et à faire vivre cette forme du rite romain. Ces derniers sont souvent accusés d’être des fauteurs de trouble, des nostalgiques, des identitaires, et surtout, crime de lèse-majesté, d’être contre le Concile Vatican II, que l’on ne sépare plus de son propre esprit ; cet esprit du concile dont on se repaît sans jamais vraiment le qualifier, comme pour à peu près toutes les choses importantes. Dans l’Église comme ailleurs, les progressistes agissent en essentialisant leurs contradicteurs afin de les discréditer. La liturgie est le sommet et la source de la vie de l’Église comme le rappelle le dernier concile, et la liturgie est tradition. Pour dénouer la crise de la liturgie qu’elle porte en son sein, l’Église devra retisser les fils de la tradition abimée et blessée, même et surtout, si l’époque la presse de n’en rien faire.

Quel Vatican II ?

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère »2 Le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’adressait ainsi le 3 septembre 1969 à Paul VI, nous étions à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle messe. Cela concluait d’une certaine façon, le Concile Vatican II qui avait pourtant fermé ses portes depuis quatre ans  ! Attardons-nous un peu sur la figure de cardinal Alfredo Ottaviani : fils de boulanger, issue des quartiers pauvres de Rome, il se révèle un très bon élève au séminaire pontifical romain, et obtient trois doctorats, en théologie, en philosophie et en droit canon. Secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il travailla les quatre années précédent le concile à préparer les thèmes à traiter et prononcera l’habemus papam pour l’élection de Jean XXIII. Ce mois d’octobre 1962 verra les masques tomber et les prises de position, progressistes ou modernistes, s’afficher. Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile, affichera un certain mépris pour l’équipe curiale de Pie XII en déclarant : « L’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque, en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »3 Il y a dans cette phrase une dichotomie qui inaugure et préfigure tout le Concile Vatican II : peut-il y avoir miséricorde s’il n’y a pas condamnation d’un acte ? Pourquoi y aurait-il remède s’il n’y a auparavant blessure ? Ne voyait-on la volonté de mettre le péché sous le tapis comme une poussière incommodante ? Le ton employé où la mansuétude s’affirme comme autorité suprême deviendra le leitmotiv du Concile Vatican II. Dès lors une fronde s’organise. On rejette les textes préparés par la curie. Notamment De fontibus revelationis, sur les sources de la révélation, et le De Ecclesia. Il fallait une majorité absolue pour entériner ce rejet, Jean XXIII donna son accord et se contenta de la majorité relative. « Ainsi fut réalisé un véritable coup d’État, par lequel l’ensemble des tendances libérales, en train de s’organiser en “majorité conciliaire”, ravirent le pouvoir doctrinal à la Curie héritée de Pie XII. » 4. On commença dès lors, et puisque les textes de travail avaient été foulés aux pieds et mis au rebut, de travailler à la liturgie. On pensait le sujet rassembleur. Les progressistes avaient comme à leur habitude un agenda, ce que les conservateurs n’ont presque jamais. Le cardinal Ottaviani, le 30 octobre 1962, prit la parole, il n’était pas encore aveugle et allait faire preuve de clairvoyance, il demanda qu’on ne traitât pas le rite de la messe « comme un morceau de tissu qu’on remet à la mode selon la fantaisie de chaque génération ». Il sembla à l’assistance qu’il était trop long dans son développement. Il fut interrompu sans égard à son rang. On coupa son micro sous les applaudissements d’un grand nombre de Pères. Le Concile Vatican II pouvait commencer.

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Lettre au Pape François au sujet de la messe

Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.

Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.

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Benoît XVI au Paradis !

— Est-il matin ou soir ?
Mon souffle se coupait, puis il reprenait. Comme s’il donnait signe d’une défectuosité. Il me lâchait. Le pneuma me quittait. J’ai soufflé que j’étais prêt. Mon Dieu que j’aime ! Mais, le souffle revint, l’air de rien, comme s’il s’était absenté pour faire une course. La memores est sortie. Je savais que G. allait arriver. J’espérais que mes dernières forces durent jusqu’à son retour. Je l’attendais pour entrer en agonie. Je ne ressentais aucune tension. Je crois que tout s’est fait rapidement ensuite. Le temps se bouscule. J’entendais différents sons qui ne paraissent pas appartenir tous au même univers. Cela me donnait une vague torpeur comme on en ressent lorsqu’on est comateux. Des sonorités venant de plusieurs dimensions.
G arriva avec deux sœurs, mes petites memores qui avaient si bien pris soin de moi toutes ces années. J’entendais parfaitement ce qui se disait. L’âme a des oreilles, n’est-ce pas ? Je jaugeais quels témoins seraient présents lors de mon jugement. J’interrogeai mon ange, mais il ne répondit pas. Était-il déjà appelé pour paver ma route ? J’entendais G. qui de sa voix mélodieuse me parlait pour me rassurer, mais je ne pouvais pas lui répondre. C’est certainement ce qui le décida à me bénir et à m’offrir le dernier sacrement. Ma voix ne sortait plus. J’ai compris que cette fois, elle ne sortirait plus jamais. Ma voix sur Terre s’éteignit à cet instant. Cela commençait ainsi. Elle m’avait déjà trahi, cependant cette fois, je compris que c’était définitif. Je ne mis plus aucune force à la faire changer d’avis. Je sentais que des parties de moi devenaient ainsi indépendantes de moi. Je voulais redire : mon Dieu que j’aime ! Je le dis sans voix. Du regard, G. me comprit. L’âme a des oreilles. G. s’agenouilla à l’instant où j’eus l’impression de glisser. Je me souvins de moi, enfant, glissant sur une mare d’eau glacée et me retrouvant sur les fesses, tournant sur moi-même. Mes yeux se fermèrent sur ce souvenir délicieux de maman et papa riant aux éclats de ma chute, mon bien cher frère riait lui aussi à leurs côtés, puis il m’aida à me relever. Mes chers parents qui m’avaient donné la vie à une époque difficile et qui, au prix de grands renoncements, m’avaient préparé par leur amour un merveilleux foyer.
Tout s’est fait très vite. J’ai quitté mon corps. J’ai compris que l’âme était le véritable je. Je sentais toujours mes membres. C’était étrange. J’ai senti quelqu’un venir. Tout allait très vite. Une personne approchait. Il m’était familier. Comment le savais-je ? C’était comme un nouveau sens qui précédait tous mes sens perdus. Je connaissais celui qui venait même si je ne voyais personne, d’ailleurs ma vue se brouillait, elle devenait confuse, mais je savais, je sentais que quelqu’un se tenait debout devant moi.

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De l’autorité

Dans la Grèce antique, les hommes se connaissent et se reconnaissent dans le regard de leur famille, de leurs proches, de leur communauté. Les femmes se réservent le miroir qui relève de la beauté, de la féminité, de la séduction. Le reflet est partout. « Là n’est pas de lieu qui ne te voit » résume Rilke. Peut-on exister sans se soucier de son reflet ? Peut-on avoir conscience de soi sans se connaître ? Peut-on avoir conscience de soi sans être reconnu ? On peut avoir une image de soi, mais elle peut être très éloignée de soi. Ainsi l’homme ne doit pas se voir dans le miroir de peur d’être absorbé par son image. Cette image qui réussit à nous faire oublier que nous sommes là. Si l’on pense ce que l’on voit, si cela résonne en nous, on le rêve aussi. Notre image nous échappe dès que nous la voyons. Ainsi la femme s’ajuste dans le miroir quand l’homme pourrait s’y perdre, s’y noyer. Le rêve, binôme de la mémoire, dissimule le temps et l’engourdit. Qu’a-t-on vu et quand ? Le regard et l’imaginaire s’interpénètrent et ne peuvent être dissociés. Voir et se connaître se confond chez les Grecs. Voir, se connaître… mais pas trop, car si l’homme est une merveille, dans le sens d’un incident, d’une fracture fascinante à l’intérieur du vivant comme le dit le chœur d’Antigone, il recèle aussi sa propre terreur, il s’extermine et se torture, et il est bien le seul « animal » dans ce cas.

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Apprendre le chant grégorien

C’était en juin 1985, à Pont-à-Mousson, à la fin du colloque “Musiques dans l’Eglise d’aujourd’hui”. Maurice Fleuret — en paix soit son âme —, le magnifique directeur de la musique et de la danse du ministre Jack Lang, prit la parole. Parole de feu. De supplication ; on peut le dire, puisque lui-même supplia. Je le citerai ad sensum, mais ce mot je ne l’ai jamais oublié : il est de lui. Evoquant ce que la musique occidentale, depuis les origines jusqu’à nos jours, devait à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, ce que devait à la musique de l’Eglise la musique de Monteverdi, de Bach, de Mozart, de Beethoven, de Stravinski, de Messiaen : tout. A la musique liturgique de l’Eglise, la musique occidentale devait tout, dit-il. Et lui-même, Maurice Fleuret, dans sa propre vie de musicien, à la musique de l’Eglise, que devait-il ? Tout. Il lui devait tout, dit-il. Et cette musique occidentale qui devait tout à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, que devait-elle au chant grégorien ? Tout, dit-il. Au chant grégorien, toute la musique occidentale, dit-il, devait tout. Mais l’Esprit du chant grégorien, dit-il, cet esprit dont il ne pouvait imaginer qu’il cessât de souffler, où se respirait-il ? Dans la liturgie, dit-il. Et c’est à ce moment qu’il supplia l’Eglise… : Je vous en supplie, s’exclama-t-il, à l’intention des ecclésiastiques présents, ne laissez pas à l’Etat le monopole du chant grégorien. Il est fait pour la liturgie. Et c’est dans la liturgie qu’il faut le pratiquer.”

Même si le grégorien est moins chanté (quand Vatican II le recommandait comme chant majeur de la liturgie, allez comprendre), il reste le trésor de l’Europe. Maurice Fleuret, élève d’Olivier Messiaen et ministre de Jack Lang, le rappelait justement ci-dessus. Le grégorien a été omis par ceux qui le promulguaient, il est donc difficile d’y voir clair. Ceux qui se donnent du temps pour aller en retraite dans les monastères ou qui, par goût, écoutent du chant grégorien savent qu’il emporte l’adhésion des croyants et des non croyants. Le grégorien s’avère inclassable. Enraciné et lointain, puissant et délicat, humble et solennel, fragile et vigoureux. Le frère Toussaint, ancien moine de l’abbaye sainte Madeleine du Barroux, maintenant ermite, vous propose des cours de grégorien à la carte et quelque soit votre niveau. C’est un excellent professeur, et je peux en attester !

Le frère Toussaint vous propose des formules très souples. Vous pouvez suivre les cours à distance ou venir sur place (l’ermitage saint-Bède est situé entre Lyon et Grenoble). Pour l’instant, il ne peut encore héberger personne même si à terme il souhaiterait bâtir une petite hôtellerie pour recevoir des hôtes… Il existe des logements guère éloignés de l’ermitage. Qui a connu le Barroux à ses débuts connaît le désir secret mais avoué du frère Toussaint de recréer cet ambiance unique et de recevoir quelques hôtes pour les immerger dans la prière quasi-perpétuelle. Dans l’immédiat, il est de bon aloi de commencer par apprendre à chanter, ce qui laisse le temps au frère Toussaint de trouver les fonds pour augmenter sa structure (les mécènes sont ici bienvenus !). Les tarifs sont dégressifs si vous venez à plusieurs. Une heure, trois jours, toutes les formules sont possibles. Le frère Toussaint sortira avec plaisir de son érémitisme pour vous enseigner l’art du chant grégorien.

Renseignements : Apprendre le chant grégorien avec un moine bénédictin

Réservations : https://frere-toussaint.reservio.com/

Et le site complet où vous pouvez découvrir les articles du frère Toussaint sur l’érémitisme : https://www.ermites-saint-benoit.com/