Carnet de route

Postface (de Georges Mathieu)

Si les “malheurs de la France sont exemplaires”, il nous faudra trente ans pour nous relever du dernier : celui du laxisme de la droite conjugué au sectarisme de la gauche. Nous subissons, depuis près d’un demi-siècle, le terrorisme d’une intelligentsia gangrenée successivement par le marxisme, le léninisme, le maoïsme, le socialisme, la social-démocratie, sans oublier le capitalisme taré, auquel s’ajoute depuis le terrorisme artistique qui a mis au cœur de son credo la subversion, la provocation et le dérisoire pour tenter d’écraser les valeurs fondées sur la beauté. Tant qu’il n’y aura pas un retournement total des finalités de nos activités, tant que nos gouvernants s’obstineront à considérer l’expansion économique comme un objectif suprême au lieu d’accorder le souci primordial de leurs préoccupations à la dimension esthétique de nos vies, il n’y aura pas de vraie civilisation.

Postface :

Cette postface de mon cher ami Georges Mathieu (1921-2012) à son livre, Le massacre de la sensibilité paru aux éditions Odilon Média en 1996, n’en finit pas de survenir…

Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)

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3ème partie : le destin

L’homme descend de l’arbre. L’homme, comme l’arbre, se définit aussi bien par ses racines ou par ses fruits. L’homme, comme l’arbre, dépend d’éléments extérieurs et intérieurs pour atteindre la maturité. L’homme ressemble à ce tronc sculpté par les épreuves s’appuyant sur ses racines et portant des fruits plus ou moins beaux, plus ou moins bons… Les ressemblances entre le monde végétal et l’homme sont infinies. De l’eau qui nourrit les racines au soleil arrosant les fruits, à l’oxygène exsudé par les feuilles, toute cette vie qui s’engouffre et circule nous rappelle de manière irrémissible la condition humaine. L’arbre est une métaphore de la famille. De la plantule aux fruits et feuilles, une métaphore de l’histoire de l’homme et de la famille se développe. Quelles fées maléfiques présidaient à la naissance de la famille des Labdacides dont descend Antigone ? N’importe quelle belle conscience de nos jours y verrait une calamité et une explication pathologique des décisions d’Antigone. Comment cette petite Antigone devient-elle ce fruit héroïque en naissant sur un tronc si plein de stigmates et  meurtrissures ? Le destin souffle et guide de manière ininterrompue et obtus cette famille et, soudain, Antigone se libère de ce carcan, libère toute sa famille de ce carcan, elle défait la camisole, et achève de congédier le destin. Quel prodige ! De loin, accrochées à leur branche, deux feuilles semblent toujours identiques, il suffit pourtant de s’approcher pour voir à quel point elles diffèrent. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)”

Antigone, insoumise et intime (2/7. Les funérailles)

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2ème partie : Les funérailles

— « Ma bien chère Ismène. Je viens ce matin te dire que je me suis occupée de tout. J’ai pris les mêmes pompes funèbres pour nos deux frères. Je ne pouvais pas choisir et comme nos frères n’ont pas laisser de dernières volontés, j’ai pris les choses en main pour que ce soit réglé au plus vite. J’ai tout de même commandé un thanatopracteur afin qu’ils soient présentables. Si tu veux aller les voir, ils seront prêts vers 15 heures. Tu n’es pas obligée. Enfin, si tu peux prendre dix minutes, ça peut être bien. Il vaut peut-être mieux garder une image d’eux heureux, enfants par exemple. J’ai pris le même modèle d’urne pour les deux. Un prêtre viendra au funérarium et fera un petit laïus avant la crémation. J’ai commandé sa venue aux pompes funèbres. Tu vois, je me suis occupée de tout. Etéocle sera enterré au cimetière qui est situé à une trentaine de minutes de Thèbes en prenant la nationale. Pour Polynice, c’est plus compliqué avec la loi de notre oncle, Créon. J’ai décidé de répandre ses cendres sur le champ de bataille comme le roi ne veut pas qu’il soit enterré. Ça fait sens, non ? Dis-moi ce que tu en penses, je ne suis pas arrêté sur ce point. » Ce portrait d’Antigone vivant au XXIe siècle livrant les dépouilles de ses frères au chargé des pompes funèbres résume le rite des funérailles de nos jours. La famille a été depuis la Révolution industrielle rendue improductive. Les funérailles ne s’inscrivent guère plus dans la tradition familiale. Le monde moderne se rassérène en employant la formule faire sens, comme la traduction de l’expression anglo-saxonne se fait entendre de nos jours, et comme il est si réconfortant de se le répéter sans que cela ait vraiment de… sens, car qu’est-ce que ces mini-sens trouvés sur le sol presque par hasard, qu’est-ce que ces sens peau de chagrin qui s’invitent sans qu’on n’y soit pour rien ou presque, sinon les résidus d’un sens passé, d’un sens commun, d’un bon sens sculpté par les siècles ? À travers la destruction de la famille, la transmission entre les générations fait défaut, le sens de nos actes se perd, il faut donc inventer du sens, il faut fabriquer du sens, il faut se donner l’illusion de vivre encore, de ne pas avoir totalement abdiqué. La supercherie s’adosse à l’ignorance, et sur ce point aussi, la filouterie ne date pas d’un jour. Le sens donné par la mort au sein de la famille, ce sens presque totalement oublié de nos jours, est rappelé par Antigone dans la pièce de Sophocle où elle se dresse comme une gardienne des valeurs qui libèrent, car elles protègent l’homme de l’animal. Antigone réaffirme ce que l’homme peut et ne peut pas ; elle s’empare d’une force destinée à nous protéger de notre volonté de puissance et à nous apprendre le temps des responsabilités ; un temps de nos jours confié à des spécialistes certifiés remplaçant de la famille, des personnes qui la composent et des liens ténus tissés entre elles par le temps.

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Actualités de Louis-René des Forêts

Par ce dimanche pluvieux, en relisant les notes prises en marge du merveilleux Ostinato, cette pépite au milieu des pépites :

Ne voilons pas nos figures avec nos mains. Il n’y a plus de lieu à vénérer, nul acte de gloire ni d’intelligence pour absoudre un monde séduit par la force étendant partout sa souillure, et qui aura relevé sèchement ses ruines comme on refuse la faute avec le sourire rusé des affaires.

Actualités de Hyppolite Taine

C’est un cuistre, le cuistre c’est l’esprit creux et gonflé qui parce qu’il est plein de mots se croit plein d’idées, jouit de ses phrases et se dupe lui-même pour régenter autrui. C’est un hypocrite qui se croit sincère, un Caïn qui se prend pour Abel.

 

Dans ce cerveau rétrécit, livré à l’abstraction, et accoutumé à parquer les hommes en deux catégories sous des étiquettes contraires, quiconque n’est pas avec lui dans le bon compartiment est contre lui dans le mauvais, et dans le mauvais compartiment entre les factieux de tous drapeaux et les coquins de tout de grée, l’intelligence est naturelle. […] Tout aristocrate est corrompu et tout homme corrompu est aristocrate.

 

La gauche qui naît à la Révolution affiche un totalitarisme qui, s’il est larvé parfois, n’en est pas moins toujours présent ; il repose sur la haine de ce qui ne pense pas comme elle.

Hyppolite Taine dans ses Origines de la France contemporaine décrivait ainsi Robespierre. Mais si à la place de Robespierre, on mettait Hollande, Valls, ou pis encore Taubira, ce portrait leur irait comme un gant. D’autant que cuistre est masculin et féminin, il place ainsi tout le monde devant un pied d’égalité, cette notion si chère à ces… cuistres.

Antigone, insoumise et intime (1/7. La famille)

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1ère partie : la famille

Dès la première lecture d’Antigone, une ambiguïté s’installe dans l’esprit du lecteur. Antigone incarne-t-elle l’action ou la réaction ? Qu’est-ce qui meut Antigone ? La réaction n’existe jamais par elle-même alors que l’action n’a besoin de personne, elle se légitime dans l’acte. L’action inaugure toujours quelque chose. À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’attend pas Créon pour être Antigone. À l’instar d’Electre pour la vengeance, de Nausicaa pour l’accueil, de Pénélope pour la fidélité, Antigone incarne le devoir. Elle est action, car elle sert : elle s’accomplit dans le devoir. Elle s’accomplit dans la servitude (feindrait-on d’oublier que servitude signifie « être esclave » ?). À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’est jamais un individu. Elle ne se dresse jamais seule. Si la loi de Créon la pousse à l’action, et si celle-ci peut paraître une réaction, c’est seulement en surface, par simple chronologie.

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La rencontre de Péguy et de Lonsdale – Entre ciel et terre

Entre Ciel et Terre

C’est une petite merveille à laquelle nous invite Michael Lonsdale avec le spectacle Entre Ciel et Terre. Un ravissement. De telles pépites méritent toujours qu’on leur accorde de la place. Il faut faire de la place dans le tumulte, dans le cœur oppressé, dans la vie que l’on rêve et qu’on oublie de vivre. Vivre chaque instant, vivre dans la conscience de la vie. C’est si dur. C’est aussi le premier pas sur la voie feutrée de l’amour.

Pierre Fesquet, qui partage l’affiche avec Michael Lonsdale, a créé un montage poétique à partir du livre Entre ciel et terre, le livre que Michael Lonsdale a consacré à Charles Péguy. Lonsdale a une activité d’écrivain, de chantre de la beauté, aussi importante que son activité de comédien. Lonsdale s’épanouit dans la parole de Dieu. On peut dire de lui qu’il accomplit un apostolat artistique et il y a là quelque chose de suffisamment rare dans le monde contemporain de la culture pour que ce soit noté… et encouragé et loué.

En écoutant la belle voix de Michael Lonsdale, mais aussi en observant Pierre Fesquet qui se mêle à la lecture, l’augmente par son enthousiasme, sa générosité et surtout, par-dessus tout, son ingénuité, le spectacle donne la possibilité d’entrer dans l’univers de Péguy. Mais je pourrais dire autrement. Je pourrais dire qu’en se laissant pénétrer par la métaphysique de Michael Lonsdale, l’envoûtement de la langue de Péguy nous tourmente. En nous laissant surprendre par la façon qu’a Pierre Fesquet de nous alpaguer, de nous forcer à nous coltiner avec le texte et sa permanente surprise, nous nous approprions chaque mot de Péguy, mais peut-être plus important, nous sentons le vent souffler à nos oreilles, les copeaux de bois tomber sur le sol, les balles siffler toutes proches, l’Espérance nous prendre la main et la Vierge Marie nous encourager à la docilité. La grâce est là qui n’attend que notre conversion, et ce spectacle y participe d’une belle manière.
C’est au Théâtre de Poche. Et ce n’est pas anodin. Dans cette toute petite salle, nous sommes à notre aise pour accueillir un divin message.

Prolongation du 29 mars au 19 avril. Attention cette prolongation est à 19h et non pas 21h comme la première présentation de ce spectacle poétique.

Théâtre de Poche – Montparnasse
75 bd du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21
Lundi, mardi, jeudi et vendredi de 14h à 18h
Mercredi, samedi et dimanche de 11h à 18h

Le bar du Poche propose une restauration légère et sa sélection de vins avant et après chaque spectacle.

Le destin de Charlie

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« L’ennemi te limite donc te donne ta forme et te fonde ». Cette phrase de Saint-Exupéry exprime assez bien notre condition à la fin de cette première semaine de l’année 2015. L’ennemi m’oblige à évoluer selon ses codes, à l’intérieur d’un espace qu’il a circonscrit. Je suis d’abord prisonnier. Il choisit le terrain et m’astreint à y rester confiné. Des deux données humaines immuables, l’espace et le temps, il m’ôte l’espace. Ôter l’espace au temps c’est un peu ôter Laurel à Hardy. L’autre unité continue de vivre, mais elle est défigurée. Elle a perdu l’équilibre offert par l’altérité de son conjoint. Le temps n’est pas le même suivant l’espace dans lequel il évolue. La géographie accomplit le destin avec une mesure aussi précise que le sablier. Lire la suite de “Le destin de Charlie”