Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)

 

Que d’histoires au sujet de l’identité ! Le mot n’apparait ni dans l’épopée grecque ni dans la tragédie. L’identité à l’époque d’Antigone s’adosse à la lignée et à l’appartenance à une cité. L’identité s’imprégnait de l’enracinement. La famille et la cité rassemblaient sous un étendard virtuel l’intégralité de ce que l’autre devait savoir de soi lors d’une première rencontre. Pendant l’antiquité, personne ne clamait son identité ni ne la promulguait, et nul ne décidait de son identité. Il ne s’agissait pas de mettre un costume. Les hommes relevaient de leur identité. L’identité s’apparentait à une charge, on se devait d’en être digne. Elle statuait l’être et le devenir. L’époque moderne en a fait un enjeu, car elle a transformé l’identité en avoir, une sorte d’acquis dont on peut s’affubler ou se départir. Dans son fantasme moderne de croire que l’on peut tout choisir tout le temps, l’époque moderne a remplacé avec une méthode implacable l’être par l’avoir. Pourtant cette logique, cette idéologie a ses limites : certaines choses ne se peuvent acquérir, parmi elles : l’altérité. Vivre son identité, être ce que l’on est, habiter son nom, permettre l’intimité et donc la connaissance et l’approfondissement de son être, voilà les conditions sine qua non d’une rencontre avec l’autre. La première différence entre Créon et Antigone se situe à cet endroit précis, le terrain sur lequel se bâtit le combat, Antigone préserve ancré en elle ce don des anciens, des dieux, cet enracinement qui définit l’autorité à laquelle elle s’adosse pour tenir tête à cet homme, son parent, le roi, qui épouse la volonté de puissance et se trouve aveuglé par elle jusqu’à ne plus entendre que sa propre voix, son écho. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)”

Le relativisme, c’est le maquignon !

Le relativisme se révèle un doux compagnon. Le relativisme, c’est le maquignon de l’abbé Donissan. On peut voyager en sa compagnie. Il n’ennuie pas, il reste à sa place et fait preuve d’une empathie sans faille. Cependant il ne connait pas la compassion. Est-ce un problème ? Plutôt un avantage, il ne contredit pas, il est d’accord avec moi. Avec précision, il devance mon accord, quelquefois même il le conçoit avant que je n’y ai réfléchi. Le relativisme donne l’impression de dominer toutes les certitudes et est devenu ainsi la religion de l’époque, c’est une émanation de la République qui est elle-même une émanation de la Monarchie. Le relativisme est donc un enfant naturel de la laïcité, pour cette raison — c’est son devoir ! — il tient en garde presque toutes les religions, un peu moins celles qui peuvent le faire chanter, avec force celles qui voudraient renouer avec un passé perdu. Le relativisme ne vient pas en aide, il se satisfait de son rôle de témoin ; il acte et acquiesce, c’est un technicien, un administrateur, un statisticien. Il n’est pas docile, il n’en éprouve pas le besoin. Il n’est pas humble même s’il réussit parfois à se faire passer pour l’humilité, mais à l’inverse de celle-ci, le relativisme n’oblige pas à la remise en question. Il conforte certes, appuyé sur l’égotisme et la satisfaction immédiate. Quand l’humilité pousse à confesser ses fautes, le relativisme trouve excuse à toutes infractions en prétextant la règle du deux poids deux mesures qui comme son nom l’indique peut servir la chèvre et le chou. Là où l’humilité est un apprentissage de la loi pour accéder à l’esprit, le maquignon propose d’oublier loi et esprit pour vivre. Vivre avec plénitude ou vivre une sorte de plénitude. Le relativisme provoque ainsi la mort, à feu lent et doux, car il effacera jusqu’à la présence d’idées en nous, il nous déshumanisera avec une certitude absolue. Et nous serons d’accord avec lui. Nous deviendrons bien des robots. Nous serons d’accord avec lui car il nous offre un immédiat réconfort, celui que nous méritons bien, celui de l’impression, celui où l’impression recèle l’image dont Narcisse s’énamourait en la regardant, en s’oubliant, sans se savoir, hypnotisé jusqu’à la mort de soi. La mort qui nous arrive.

Devenir soi…

Devenir soi n’est-il pas toujours devenir un autre ? Que peut devenir celui qui ne chemine pas vers celui qu’il est ? Il faut sans cesse combler le gouffre entre celui que nous sommes et celui que nous croyons être. Que peut incarner celui qui ne sait pas qui il est ? Une épave, une éternelle dérive, un échouement ? Celui-là peut sombrer dans toutes les formes de soumission, notamment la volonté de puissance ; Il n’y a rien qui puisse le tempérer, le caresser ou le contrôler. Il s’agit ici d’avoir la même exigence que dans l’écriture : accoler au plus près, au plus proche, le style et le sujet. Réussir à faire corps pour ne faire qu’un. Opérer et accomplir la métamorphose pour sortir de soi, pour être soi. À la différence de ce qui est souvent dit ou cru de nos jours, la perpétuelle rencontre avec l’autre appelée aussi métissage ou diversité ou le prochain vocable à la mode n’est qu’un subterfuge, un zapping hystérique, un moyen de s’apercevoir, de s’entrevoir et de camoufler cette vision sous un maquillage ingrat, anémique et amnésique. Ici continue de s’agiter une agit-prop soucieuse de créer de nouveaux besoins et de les renouveler sans cesse pour créer toujours une insatisfaction sans précédent et sans fin et obliger à la quête éternelle et épuisante du fantôme de soi.

La quête d’identité

Dans sa quête folle de faire croire que l’on peut tout choisir tout le temps, l’époque moderne a remplacé méthodiquement l’être par l’avoir. Pourtant cette logique, cette idéologie a ses limites : certaines choses ne se peuvent acquérir, parmi elle : l’altérité. Vivre son identité, être ce que l’on est, habiter son nom, permettre l’intimité et donc la connaissance et l’approfondissement de son être, voilà les conditions d’une rencontre avec l’autre. La première différence entre Créon et Antigone se situe à cet endroit précis, le terrain sur lequel se bâtit le combat, Antigone préserve ancré en elle ce don des anciens, des dieux, cet enracinement qui définit l’autorité à laquelle elle s’adosse pour tenir tête à cet homme, son parent, le roi, qui épouse la volonté de puissance et se trouve aveuglé par elle jusqu’à ne plus entendre que sa propre voix, son écho.

À l’aune des valeurs

L’autorité a perdu ses lettres de noblesse en même temps que l’humilité. L’autorité est devenue un synonyme d’ordre implacable, de force irréfléchie, de tyrannie. Quelle inversion des valeurs ! Alors que l’autorité selon Antigone empêchait la tyrannie ! L’époque moderne a cette impression de l’autorité parce que celle-ci a été foulée aux pieds par des hommes qui s’en sont servi ; alors qu’on sert l’autorité. Mais l’autorité a-t-elle été abimée par ces expériences désastreuses ? Une valeur ne peut pas être abimée par un homme. La fidélité se déploie au-dessus de Saint Pierre sans qu’il en soit capable. La fidélité se déploie au-dessus de la trahison car elle l’englobe. La fidélité s’affirme dans la trahison. La trahison ne porte en elle aucun sens sinon sa propre satisfaction. Toute valeur dit aussi l’indécision et l’incertitude au sein de l’homme. Toute valeur est un tuteur et un abri. Nul besoin de choisir, la valeur s’adapte à notre faiblesse puisqu’elle précède nos incertitudes. Le monde moderne confond l’autorité et le pouvoir en leur faisant porter les mêmes plaies et les mêmes peines. Il fallait ôter Dieu de tout. Ni les antiques ni les contemporains ne comprendraient, mais cela importait peu, ils comptaient pour rien à présent. Si jamais Dieu ne partait pas, il faudrait le tuer. Le XXe siècle s’est voulu le temps de la mort de Dieu. Il n’aura tué que la mort de son idée. Il aura surtout créé une nouvelle anthropologie reposant sur le suicide.

Antigone, insoumise et intime (1/7. La famille)

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1ère partie : la famille

Dès la première lecture d’Antigone, une ambiguïté s’installe dans l’esprit du lecteur. Antigone incarne-t-elle l’action ou la réaction ? Qu’est-ce qui meut Antigone ? La réaction n’existe jamais par elle-même alors que l’action n’a besoin de personne, elle se légitime dans l’acte. L’action inaugure toujours quelque chose. À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’attend pas Créon pour être Antigone. À l’instar d’Electre pour la vengeance, de Nausicaa pour l’accueil, de Pénélope pour la fidélité, Antigone incarne le devoir. Elle est action, car elle sert : elle s’accomplit dans le devoir. Elle s’accomplit dans la servitude (feindrait-on d’oublier que servitude signifie « être esclave » ?). À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’est jamais un individu. Elle ne se dresse jamais seule. Si la loi de Créon la pousse à l’action, et si celle-ci peut paraître une réaction, c’est seulement en surface, par simple chronologie.

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Hannah Arendt sur la vie humaine

Les théories modernes dont la raison d’être est de brouiller la nature de l’homme et d’ainsi lui donner une croyance surabondante en sa personne s’entretiennent de ce brouillage permanent. Ce brouillage permanent utilise la pensée de Simone de Beauvoir sur la vie humaine. Le brouillage permanent, le déracinement, l’infantilisation… Il faut dire à l’homme qu’il est fort pour l’affaiblir, le pousser à succomber à toutes ses envies pour l’asservir. Le déraciner pour lui permettre de se croire seul maître de son destin. La vanité et l’orgueil feront le reste du travail.

« Ce n’est que dans la mesure où il pense (…), qu’il est un “il” et un “quelqu’un”, que l’homme peut, dans la pleine réalité de son être concret, vivre dans cette brèche du temps entre le passé et le future. »*

* Hannah Arendt, La Crise de la culture.

Unamuno sur la vie humaine

« Je ne veux pas mourir, non je ne le veux pas, ni ne veux le vouloir ; je veux vivre toujours, toujours ; et vivre moi, ce pauvre moi, que je suis et je me sens être aujourd’hui et ici, et c’est pour cela que me torture le problème de la durée de mon âme, de la mienne propre. »*

La force de l’assertion de Unamuno est qu’il exprime le désir de vie humaine hors de la moindre pensée de plaisir. Nous sommes ici en présence d’une citation qui s’affirme comme un défi lancé au monde moderne quand la théorie de l’action comme sens peut être utilisée par toutes les idéologies modernes.

*Le Sentiment tragique de la vie.

Yeats sur la vie humaine

« Quand je pense à tous les livres que j’ai lus, disait Yeats, à tous les mots avisés que j’ai entendus, à toutes les angoisses que j’ai données à mes parents… à tous les espoirs que j’ai eus, toute vie pesée dans la balance de ma propre vie me paraît être une préparation de quelque chose qui n’arrive jamais. »*

* citation tirée de Journal de Yeats.

Simone de Beauvoir sur la vie humaine

« Déclarer que la vie est absurde, c’est dire qu’elle n’aura jamais de sens. Dire qu’elle est ambiguë, c’est décider que son sens n’est jamais fixé, qu’il doit toujours être gagné.* »

Formidable déclaration d’impuissance drapée dans une expression de la volonté de puissance ou comment l’envie doit régler, régenter la vie. Cette phrase est bien sûr un manifeste révolutionnaire. Simone de Beauvoir définit la lutte des classes et toutes les actions de la gauche depuis la Révolution française : l’envie comme acte de foi. L’envie est toujours fille de l’immanence. Simone de Beauvoir nous dit : « Dieu est mort, sachons à présent que nous sommes maîtres de nos vies et qu’elles s’accomplissent dans l’action. » En agissant ainsi Simone de Beauvoir fait fi de la religion mais aussi de la philosophie antique, elle affirme que la lutte permanente est la seule voie. Cette lutte permanente est entretenue par l’envie ; l’envie a cette force immarcessible, elle se nourrit aussi bien de ses défaites que de ses victoires. C’est la force maléfique par excellence. Elle affronte la vie.

La philosophie de la vie de Simone de Beauvoir est adulescente comme dirait Tony Anatrella, et de fait, elle est une négation de la vie car elle nie sa qualité et son épaisseur pour la résoudre en une lutte permanente et pathétique.

On y voit aussi la forme du modernisme. Cette action devient immédiatement une négation de la vie intérieure. Ou plutôt elle se veut un remplacement à la vie intérieure car il est fréquent d’entendre, par un spectaculaire retournement de sens, que l’action est la vie intérieure du militant. On comprend aussi que cette déclaration ne souhaite en rien trouver une solution, l’apaisement serait sa fin. Elle ne se complait que dans le vacarme et la violence.

*Une Ethique de l’ambiguïté.