Alvaro Mutis est un très grand écrivain et ce qui ne gâte rien l’un de mes très chers amis. Comme il ne publie plus de livres depuis quelques années, j’ai pensé lui rendre un petit hommage à travers des citations de “La dernière escale du Tramp Steamer”, ce court roman est tout empli de la grâce que la lecture d’Alvaro Mutis procure. Pour re-découvrir l’écrivain colombien.
P 39. Le haut-parleur nous annonça que la petite avarie était déjà régularisée — pourquoi, me demandé-je souvent, faut-il qu’ils violent la langue quand ils ont des doutes d’ordre technique ?
P 57. Quand l’une de ces images revient avec l’intention féroce de persister, il se produit ce que les savants appellent une épiphanie. Expérience qui peut être dévastatrice, ou nous confirmer simplement certaines assurances on ne peu plus utiles pour continuer à vivre.
P 62. Cela n’a rien d’étrange. Partager, ne serait-ce que fugacement, un paysage ou un lieu de notre enfance nous fait nous sentir en famille.
P 70. Ne vous y fiez pas. On doit toujours être préparé à ces surprises, qui mûrissent et jaillissent habituellement à la surface sans que nous en ayons perçu le processus. Ce sont des choses qui ont commencé longtemps auparavant.
P 74. Dans ma tâche actuelle, je ne mets que le corps. Ce n’est pas que j’ai tout perdu. C’est que j’ai perdu la seule chose qui valait la peine de parier contre la mort.
P 75. Nous cheminons ensemble depuis très longtemps, de beaucoup plus loin.
P 79. En vérité, Jon Iturri a cessé d’exister. Rien ne peut plus affecter l’ombre qui parcourt le monde sous son nom.
P115. Mais, enfin nous arrivons en Europe avec des yeux très ingénus. Il y a bien des années que notre ancienneté a tourné en une sorte de fatigue, d’usure et d’affaiblissement, du fait de coutumes et d’idées qui ne nous servent même plus à vivre sur notre prope terre.
P 125. La seule chose qui m’a souvent préservé du désir de mourir est de penser que cette image disparaîtra avec moi.
P135. Oui, maintenant je bois de la vodka et je fais l’amour avec un roumi, mais chaque jour je me sens plus éloignée de l’Europe, moins intéressée par elle, et je comprends mieux mes frères qui voyagent à la Mecque sans savoir lire ni écrire, sans connaitre le vin, résignés qu’ils sont au châtiment du désert.
P 150. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’inquiéter. Je sais très bien ce que signifie dans ce pays la phrase : ” Ne vous en faites pas. ” On doit l’entendre ainsi : “Si quelque chose nous arrive, il n’y a rien à faire, il est donc inutile de s’inquiéter.”
P 155. En cette occasion, comme dans les précédentes, il évita toute formule qui pût être interprétée comme de l’autocompassion. Il n’y avait en cela, bien entendu, pas une ombre d’orgueil. Il le faisait par simple pudeur, par ce trait que les français du XVIIIe siècle appelaient élégamment la noblesse de coeur.
p 156. La séparation à Kingston ne pouvait pas être la dernière. Toutes les choses que je ne lui avais pas dites pendant notre vie en commun s’accumulaient dans mon esprit. Elles me paraissaient alors sans grande importance et presque inutiles ; nos gestes, notre relation érotique, nos sympathies et phobies partagées faisaient que les paroles étaient de trop. Là, elles exerçaient à nouveau leur emprise, avec une insistance impérieuse.
P 159. C’est simplement qu’étant donné le naturel fluide de son écriture, la lire à voix haute serait un peu comme entendre sa voix. Je ne pourrais pas le supporter.
P 159. La même histoire de toujours, enfin, quand on part d’une distorsion de la réalité et qu’on prend ses désirs pour des vérités indiscutables.
P 160. Elle a appris avec moi que les gens sont pareils dans le monde entier, et qu’ils sont mûs par les mêmes passions mesquines, les mêmes intérêts sordides, aussi éphémères et semblables sous toutes les latitudes.
P 163. Les hommes, pensai-je, changent si peu, continuent d’être tellement eux-mêmes, qu’il n’existe qu’une seule histoire d’amour depuis la nuit des temps, qui se répète à l’infini, sans sa perdre sa terrible simplicité, son irrémédiable infortune.
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