Le monde laïc et moderne

Il y a le beau mot italien « vergogna », il y a le mot français vidé de son sens à l’époque moderne « honte ».

Qui ne s’est trouvé au beau milieu d’un dîner avec de chers amis à vouloir fuir le lieu, fuir pour ne plus avoir à endurer la stupidité, l’incohérence, les propos « petit-bourgeois », la vulgarité ? Le besoin d’air pur se fait sentir alors que nos poumons ne suffisent plus pour emmagasiner le peu d’air ambiant. Bien souvent ces gens que l’on aime, qui ne font que répéter ce qu’ils ont lu dans les journaux, sur les blogues, nous agacent… Internet peut être un pur ennemi de l’intelligence.

Généralement lors de ces dîners, le pire sera atteint lorsqu’on parle de religion.

Le monde laïc et moderne a édicté une loi monstrueuse, protéiforme, incandescente : la religion devra se confiner à « la sphère privé ». Je mets cette dernière expression médiatique entre guillemets pour les raisons que l’on comprendra, comme souvent avec les expressions médiatiques, elle ne veut rien dire. Je ne suis pas contre l’idée d’une certaine discrétion dans la pratique de la religion, mais je suis contre l’idée de me cacher d’être chrétien. Surtout dans un pays comme le nôtre ! Mais le problème ne serait-il pas là et nulle part ailleurs ? Ce pays n’en finit-il pas de se détester ?

Comme la religion est privée, elle n’est pas connue, elle ne doit pas être connue, ni divulguée, ni même dite. Elle ne doit pas être confessée ! Le monde laïc veille à ce que jamais ne soit dit ce que l’on est, ce qui nous caractérise, ce qui nous différencie. Le monde laïc est égalitariste, il aplanit ou coupe ce qui dépasse. Vous entendez dans monde laïc, république… Oui, mais cette espèce de république minuscule qui caractérise nos sociétés en fin de vie. Rien à voir avec l’autre, la Romaine. La nôtre vient des Lumières, c’est dire, c’est tout dire… Malheureusement, c’est tout dire. Et c’est ainsi que les signes religieux doivent disparaître et s’effacer afin de ne pas offusquer le laïcisme de l’autre, de la majorité ici. Parce qu’il y a une mode à être laïc. On est laïc comme on est bronzé. Et on devient laïc après une trop forte exposition à la lumière moderne, aux discours médiatiques. Personne ne sait vraiment ce que veut dire être laïc. Mais tout le monde l’est. Être laïc c’est un peu comme avoir bonne conscience. Quand on a déclaré être laïc, on a presque tout dit. Quand on a déclaré être laïc, on n’a plus rien à dire et surtout l’autre, en face, ne peut qu’acquiescer, se lover sur lui même en admettant l’être aussi, se subordonner à cette loi d’airain. D’ailleurs, L’autre ne peut qu’acquiescer. Son existence même, sa langue, tout son être devient un acquiescement.

J’ai appelé cet article « Le monde laïc et moderne », j’aurais pu l’appeler aussi bien « Le monde laïc est moderne ». Laïc est devenu un motto, un mantra. Comme toutes les époques extrêmement vulgaires, notre époque ne vit que de mantras appris à la volée, inculqués dès le plus jeune âge et surtout, mais c’est une condition sine qua non, épuisés, vidés de sens. L’autre appellation que ceux qui ne s’y résignent pas lui donnent est politiquement correct. Et c’est un fait, il est, par exemple, politiquement correct de dire que l’on est laïc, bien que là encore je suis en contradiction avec mon raisonnement, on ne dit pas que l’on est laïc, on en appelle aux valeurs laïques. Les valeurs laïques comme les valeurs de la république sont simples, elles se résument en une expression: « Ferme-là si tu n’es pas d’accord ! ». Parce que dans ce monde moderne merveilleux, il n’y a plus d’autre, on a tellement aseptisé le concept d’autre, qu’il n’y en a plus. Aucune tolérance pour ce qui n’est pas laïc et donc moderne, et à un degré supérieur englobant la totalité de l’univers connu et inconnu, la république. On comprendra que je trouve presque inutile cet article, presque inutile ce site, presque inutile la petite tentative de rébellion que pourrait représenter ma vie si quelqu’un s’y penchait pour comprendre l’activité qui m’anime…

Cette semaine, les actualités nous ont apporté l’exemple d’un pays qui a enfreint la loi. L’Irlande. Outre le fait d’être l’un des plus beaux pays du monde, l’Irlande a commis une loi contre le blasphème. Peut-on imaginer plus grand retour au Moyen-Âge ? Autant dire que certains s’en sont donné à coeur joie. Sur les blogues, sur les ondes des radios et de la télévision, partout où il est possible de s’exprimer (et de nos jours, et c’est bien le problème, il est possible de s’exprimer partout) et bien le laïc s’est interposé et s’est exclamé pour dire tout le mal de ce petit pays, qui jamais ne devrait, n’aurait dû faire, partie de l’Europe. Ce pays où il est déjà impossible de se faire avorter. Ce pays obscurantiste, ouvertement catholique. Ce pays de prêtres pédophiles qui plus est. Et là, le laïc a tout donné, il a fini de réduire en charpies cette religion qui a donné tant de guerres, tant d’abominations, tant de monstruosités, cette incarnation du mal sur terre. Spécialement la catholique. Particulièrement visée, parce qu’en fin de vie dans nos pays… en fin de vie (ah oui, il y a peut-être un rapport). Particulièrement visée parce que faible, affaiblie, ou tout au moins c’est ce que la république pense.

La culture de l’Europe est laïque. Par monde moderne, il faut bien entendre monde moderne occidental. De toute façon, comme le monde occidental se considère seul au monde… La seule culture de l’Europe est la culture laïque. Le renoncement aux références chrétiennes dans ses textes de loi est certainement l’un des plus grands scandales de tous les temps, et il restera certainement comme la plus formidable injure qui n’ait jamais été faite à l’Histoire et les générations futures n’auront de cesse de nous railler dès qu’elles auront retrouvé la vue. C’est la grande révolution de l’Europe, une révolution presque douce, dont personne où presque ne parle, et cette révolution ne peut avoir qu’un seul qualificatif : vergogna. Honte pour une bande de technocrates frileux, vulgaires, amnésiques et décadents qui d’un revers de main ont balayé presque vingt siècles d’histoire de l’art pour ne citer que cela parmi leurs méfaits.

On coupe, on aplani, on sectionne, on rase, on uniformise, on déracine.

Un souci va naître et apparaître au grand jour : comme la religion doit rester dans la sphère privée, la religion n’est plus connue, même de certains amis, d’amis que l’on considère comme des amis, mais qu’on ne voit pas souvent par exemple. Et de la jonction de ces deux faits naît le drame : vous dînez avec des amis, vous rigolez un peu, vous vous ennuyez un peu aussi, parce que celui qui s’intéresse à tous les sujets est un mondain et que justement, vous ne l’êtes pas, et patatras, le sujet dérape, vous ne vous rappellerez jamais comment d’un coup d’un seul quelqu’un a parlé de religion, quelqu’un a parlé des prêtres pédophiles ou de la jeunesse dans les « Jeunesses hitlériennes » de Ratzinger… Comment en est-on arrivé là ? Pour deux raisons simples, on ne sait pas que vous êtes chrétiens et tous les sujets se valent. Et là, à ce moment précis, la porte est ouverte sur ce que j’appelle : « Le Café du commerce ». Et très franchement à moins d’être Antoine Blondin, le café du commerce, il n’y a rien de pire pour qui réfléchit un peu. Et pour supporter le café du commerce, on se souviendra ce qu’un Blondin ou encore, paix à son âme !, un Pierre Chaumet, devaient s’envoyer dans le gosier.

Tout le monde sait tout sur tout. Et c’est bien le problème à notre époque où tout le monde est surinformé, mais sans avoir tous les éléments, et particulièrement le plus important : la vie de l’esprit, pour comprendre et analyser ces informations.

On se souviendra aussi de l’expression : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ».

Même si je ne suis pas loin de trouver ridicule de légiférer sur le blasphème. On comprend la volonté derrière cette loi. Elle permet de se protéger du Café du commerce et de la propension très forte que le monde laïc, que la culture laïque met à dénigrer la religion, et tout spécialement la catholique.

On coupe, on aplani, on sectionne, on rase, on uniformise, on déracine.

Le dialogue est mort. Le dialogue est définitivement mort et enterré. Maintenant il n’y a plus que bien-pensance et sectarisme. Il n’y a plus de position acceptable que celle de vigie qui du promontoire voit s’enfoncer, un peu plus chaque jour que Dieu fait, la pensée, l’intelligence et le raffinement. Bernanos disait qu’« On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

La perte de la notion de honte marque la fin de la civilisation. La notion de civilisation repose sur un certain raffinement de l’esprit qui sans sentiment de honte s’effondre.


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