Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.
Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.
À la fin des années 60, j’ai ouvert les yeux sur ce monde. Un médecin en avance sur son temps, considérant la solitude et le peu de ressources de ma mère, essaya tant que faire se peut de m’interdire ce droit ! Ma mère, que l’on ne pouvait influencer en lui dressant un tableau morose de la vie, pleine d’espérance qu’elle était, refusa de revoir ledit médecin. Nous étions pauvres. Nous vivions dans une habitation à loyer modéré, nouvellement construite, très confortable à nos yeux, avec le chauffage centra… La ville manquait toujours de logements après la guerre qui l’avait rasée. Je découvris en naissant que la misère étend son manteau dès que l’argent manque, mais surtout dès que l’espérance disparaît. On entassait des retraités, des désœuvrés, des repris de justice dans ces habitations à loyer modéré qui ressemblaient à un chaudron dans lequel les politiciens cuisinaient une recette inédite. Toute mon enfance, j’ai entendu les quolibets des enfants de couples en bonne et due forme. Il leur fallait rehausser le bonheur d’être nés dans une famille normale, même si cette union s’exprimait souvent à travers les cris et les coups. L’époque commençait à détester la pauvreté qui représentait une pierre d’achoppement sur la route du progrès et la misère pointait son nez et incitait à la violence. Toute mon enfance, mes amis m’ont regardé comme une étrangeté. Je n’étais pas né d’un père et d’une mère. J’étais né d’une mère et pour cela, j’étais une manière de risée. Je l’avais tout de même échappé de peu, si ma mère avait écouté le docte médecin, j’aurais été une manière de rien.
Saint-Père (j’en ai des frissons !), à cause de ce manque de père, j’ai pris plus de temps à me construire, le manque de structure m’informait. J’ai été aidé, cela dit, je me construisais avec l’idée de Dieu. Quelquefois, je me demandais comment cette idée avait-elle germé en moi ? Je n’en savais rien. Je ne pouvais pas le dire, puisqu’elle me précédait. Comment le chemin, la vérité, la vie étaient-ils nés et prenaient-ils racine dans mon cerveau malhabile alors que je vivais au milieu d’une population habituée à survivre sans plus aucune racine pour rêver du ciel ? Vous connaissez ces populations, vous avez été à leur contact en Amérique du Sud, vous savez que rien n’est facile pour celui qui y grandit. J’ai passé des décennies à me construire avec cette petite lumière, cette flamme, que Dieu entretenait en moi, par son bon vouloir, parce qu’il voyait une âme qui rêvait de le suivre partout où il le demanderait. J’ai toujours vécu ainsi, avec ce feu intérieur. « Là où le Péché abonde, la grâce surabonde », n’est-ce pas ? J’étais animé par la foi, et ma mère s’endetta afin que j’aille dans de bonnes écoles coûteuses, chez les Jésuites, afin d’échapper à un destin dicté par ma géographie. La construction ressemblait à un jeu de mikado, le vent la menaçait sans cesse. J’entretenais mon petit feu en allant à la messe. Je sentais qu’à la messe culminait en apothéose une partie de moi-même. Je ne le disais à personne et personne n’expliquait la foi, personne n’expliquait ce feu, personne ne m’expliquait rien. Je me trouvais seul avec ce trésor et personne à qui en parler : ni mes amis, ni mes professeurs, ni les prêtres que l’on ne différenciait plus d’autres adultes et qui paraissaient s’être enfouis et avoir enfoui leur foi dans un même mouvement ne semblaient prêts à en parler. On évoluait dans une espèce de non-dit. Plus ils voulaient être proches, plus ils s’éloignaient.
Je vécus quelques années à Paris, continuant ma recherche sans la mener, heureux d’avoir toujours ce feu en moi. J’observais quelques personnes dont les manières m’enseignaient et fondaient ma vie ; elles n’en savaient rien, je leur suis éternellement reconnaissant. Puis, j’ai perdu mon travail. Je me suis exilé, loin de tout, le croyant surtout, mais l’éloignement est un rapprochement comme le dit saint Augustin. Cet éloignement à l’étranger m’a donné la force de recommencer à affronter ma construction, de dire : « Pourquoi je crois en vous de manière irrésistible ? » Pourquoi j’ai foi en vous… Une question bien saugrenue pour une personne qui avait toujours cru, n’est-ce pas ? J’ignorais pourquoi il n’y avait jamais eu de pourquoi. Sous la pluie, sous les frimas, sans espoir, sans avenir, ayant tout perdu, mon âme résistait. Errant d’église en église dans ce pays étranger, je m’y installais pour le silence et la paix que j’y trouvais. Je n’y ai pas toujours parlé avec les prêtres, mais cela m’est arrivé. Les athées ou les moqueurs de la religion se persuadent que l’homme démuni de tout confort matériel ne peut plus que se réfugier vers Dieu. C’est ainsi qu’avec un dédain de classe, ils regardent les habitants de pays sous-développés en les moquant pour leur façon de se réfugier dans la croyance. Ils passent complètement à côté de la profondeur soulignée par saint Paul : « C’est quand je suis faible que je suis fort ! » Ils ne connaissent pas la pauvreté, mais connaîtront peut-être la misère, à l’heure de leur mort ou de celle d’un proche. La pauvreté permet de lâcher prise et de se donner pour recevoir. La vie d’exil m’aura permis de vivre cette réalité. Ce dénuement n’aura cessé de me renforcer.
C’est un jour que je déambulais dans les rues de cette mégapole que je découvris une église que je n’avais jamais vue. J’avais visité de multiples églises, belles ou moins belles, à chaque fois, dans mes pérégrinations, mon errance, j’y avais trouvé une paix, la même, comme le creuset de mon feu. Je ne connaissais pas encore la prière de saint François que je récite maintenant chaque jour : « Seigneur Jésus, dans le silence de ce jour naissant, je viens vous demander la paix, la sagesse et la force… » Oui, chaque jour, affrontant les frimas, dormant sous ces frimas, je m’affrontais à ma foi comme avec un ange, et je disais : « Pourquoi moi ? Comment moi ? » Et, un jour, au détour d’un quartier mondain et bruyant, je découvris cette petite église. J’y entrais avec douceur. Un office se déroulait où le silence le disputait au recueillement. L’odeur florale d’encens élevait mon âme. Je me glissai sur un banc presque vide tout au fond de l’église à côté d’un homme impavide et concentré. J’étais ravi d’être là et de n’avoir dérangé personne. Nous étions à Londres au début des années 90, l’encens agissait sur moi comme un opiacé, le latin se réveillait en moi pour ouvrir ses racines oubliées et multiformes ; mon legs. Je suivais les mouvements des uns et des autres, le prêtre surtout, méticuleux et appliqué, qui se levaient, s’asseyaient, s’agenouillaient. Un rituel s’articulait devant mes yeux qui disait ma foi alors que celle-ci tonnait en moi de bonheur. Enfin, je comprenais, non pas que l’on m’expliquait, mais mon Seigneur et mon Dieu, me donnait de comprendre ce feu qui brûlait sans fin et sans cesse. Je vivais comme dans un songe. Je ne connaissais pas ce rite, mais je sentais que j’étais enfin arrivé à bon port, que j’étais chez moi. Tout était beau et somptueux. Seuls des brigands de grands chemins souhaiteraient enlever le beau aux pauvres, quand souvent, c’est leur seul bien, c’est leur seul bien parce qu’il ne leur appartient pas et qu’ils ne désireraient pas le posséder, se sachant indignes de le tenir, néanmoins toujours volontaires pour l’adorer. Ce bien entretient la foi en eux et les empêchent de basculer dans la misère. Le pauvre sait naturellement le lien indéfectible qu’il y a entre le beau, le bien et le bon. J’aurais voulu que cela ne finisse jamais. Je passai une heure de ravissement total où mon âme baigna dans un monde où se mêlaient le physique et la métaphysique dans une magnifique alchimie. Je découvris bien plus tard la merveilleuse formule de Saint John Newman : « La messe, la plus belle chose de ce côté-ci du Paradis. » Mais, je n’avais jamais vu de messes de cette sorte où tous étaient subjugués et transportés par le rite majestueux. Je n’avais jamais ressenti une telle ferveur dans le recueillement. Je n’avais jamais vu quelque chose qui y ressembla de près ou même de loin. Pourtant, je n’avais pas rêvé. Je revenais dans cette église tous les dimanches et quelquefois d’autres jours, car j’étais conquis. La beauté de la forme Tridentine, dont je ne connaissais pas encore le nom, mais que je concevais devoir nommer pour la différencier de celles auxquelles, même si de toutes les messes à laquelle j’avais assisté aucune n’était véritablement la même, j’assistais depuis toujours. Je la connaîtrai bientôt grâce au prêtre de l’église qui me vendit un missel anglais-latin. J’ai appris la messe Tridentine en latin, sans beaucoup de latin, dans un pays étranger dont je ne faisais que bredouiller la langue. La structure de la messe dite de saint Pie V me devint claire, je sentis ma prière s’y épanouir et fleurir, car corsetée pour son bien. Je compris que la messe venait me prendre et me caparaçonner pour que mon rendez-vous avec le Seigneur porte des fruits. Ce fut une épiphanie. L’épiphanie de la liturgie. Tout s’accordait : l’encens, la myrrhe et l’or dans la geste du prêtre qui célébrait ces mystères.
Saint-Père, je dois vous avouer encore une chose, qui, je le sais, vous touchera comme elle m’a touché : à la fin de la messe, encore en extase devant une cérémonie comme je n’en avais jamais vu, où l’âme était louée et où, tout était fait, pour l’encourager dans sa quête, je me penchais vers mon voisin, l’homme à côté de qui je m’étais glissé pour ne pas déranger la cérémonie. Je m’aperçus que c’était un sans-abri, son odeur pestilentielle m’agressa tout à coup. Je compris ainsi pourquoi il se plaçait tout au fond, loin des fidèles, pour ne pas déranger. Je pris sur moi et le saluai avant de quitter l’église. Son visage s’irradia. Je vois toujours son visage trente après. Je remercie toujours ce prêtre, trente ans après. Ce fut la plus grande expérience religieuse de ma vie, car elle fut décisive et influença toute ma vie. Je n’ai rien contre la messe ordinaire (j’utilise pour la différencier l’appellation de votre prédécesseur notre bien aimé Pape Benoit, vous ne m’en voudrez pas), j’y ai d’ailleurs été très souvent, toute mon enfance, et il m’arrive encore d’y aller et j’y vais sans préjugés, sachant que sa qualité dépendra de son officiant, et conscient de son intention, différente de la messe de saint Pie V, moins intime et plus participative, moins sacrée et plus pastorale, mais c’est là un autre débat. Mais, Saint-Père, je n’ai jamais revu le visage de cet homme, ce homeless comme on les appelle Outre-Manche, qu’à la messe Tridentine, quelquefois pendant l’Asperges me, quelquefois, tout simplement, pendant les prières au bas de l’autel, ou au Lavabo, ou encore pendant l’action de grâce… Tout ce que j’avais péniblement construit de brics et de brocs prenait sens à la messe de saint Pie V, et ce sens n’a jamais été démenti depuis. Parce qu’il y avait là quelque chose qui me dépassait : une dignité folle, une patine du temps, un déroulement impeccable et logique qui me découvraient et m’obligeaient à me connaitre intimement, à aller là où je n’aurais jamais pensé aller, pour y découvrir la source de mon feu intérieur. Tout mon être frémissait, car il voyait le chemin à emprunter, la vérité à suivre et la vie à vivre. J’avais trouvé en assistant à l’usus antiquior la structure et l’autorité. La romanité ! Nous nous disons catholique romain, catholique et romain, n’est-ce pas ? Tout ce qui m’avait manqué enfant m’apparu, une tradition, une lignée, le goût de pratiquer le passé à mon époque, non pas par passéisme, mais pour éprouver mon âme et participer de la communion des saints grâce à la tradition. Je m’énamourai de la tradition et compris qu’elle répondait au seul événement d’envergure, la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qu’aucune décision ou réunion décidées par les hommes ne pourraient y interférer ou la faire vaciller. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous 2. Quel bonheur de trouver ce que je ne cherchais plus ! À travers la pompe traditionnelle, je voyais le merveilleux que la religion fait briller dans les yeux du pauvre. Le beau ouvre la fenêtre du merveilleux au pauvre. Je serai tenté de dire qu’il faut être pauvre pour voir ce merveilleux. Il faut garder cette pauvreté de coeur qui ouvre les portes du ciel. A la messe Tridentine, j’avais trouvé le père rêvé, celui qui n’abandonnait personne et qui prodiguait sa miséricorde sans autres contreparties que la foi qu’on lui portait.
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Cette Messe qui a imprégné mon enfance et ma vie est toujours présente en moi. En ce temps là, le Latin figurait dans l’enseignement et nous rapprochait du français, les Eglises et Chapelles étaient bien pourvues en tableaux, beaux ornements…..les fin de Messe avec la Prière à Marie, suivie de celle à St Michel, tout en latin nous comblait, la Bénédiction du Saint Sacrement ! Recevoir l’Hostie Sacrée à genoux à la Ste Table, dans la bouche qu’on ne mâchait pas, signe de respect. Tenue discrète, bras et jambes, tête couverts. Les Prêtres vêtus de leur soutane et non en tenue civile.
Que de bons souvenirs ces offices en latin ,j’étais jeune je ne comprenais pas tout mais tout ces rites pour moi étaient plein de mystères et il y avait ce respect dû au bon dieu…je n’ai jamais pu tutoyer notre seigneur. …
Je suis restée avant le concile .j’ai beaucoup de mal avec ces nouveaux rites .
Suis en accord avec votre post .
Le cheminement ou le témoignage relaté dans cette lettre est d’un extrême intérêt, mais son auteur, et les autres catholiques avec lui, devraient aussi se poser la question de savoir pourquoi il est à ce point important, notamment pour François, de limiter voire de proscrire l’accès au catholicisme traditionnel, notamment en matière liturgique.
D’un côté, il y a le catholicisme de ceux qui essaient d’être les continuateurs des catholiques qui ont été traditionnels dans la foi. De l’autre côté, il y a le catholicisme de ceux qui réussissent à être les continuateurs des catholiques qui, au XXème siècle, ont été les transformateurs de l’Eglise, au demeurant non avant tout ni seulement dans le domaine de la liturgie.
Or, comme la transformation de l’Eglise en général et celle de la liturgie en particulier n’ont pas produit les fruits escomptés, et que les continuateurs d’aujourd’hui ne veulent pas se libérer, ni libérer les catholiques, à l’égard des transformateurs d’avant-hier, il est très important, pour eux, que les catholiques ne puissent pas effectuer une comparaison, pensée et vécue dans la foi, entre la liturgie traditionnelle dans la foi et la liturgie transformatrice de l’Eglise, car cette comparaison serait vraiment très fâcheuse, au préjudice de la poursuite du maintien en vie de la liturgie transformatrice de l’Eglise.
Voici une autre manière de dire à peu près la même chose : ce n’est pas avant tout ni seulement en matière liturgique que le néo-catholicisme fonctionne à l’anti-tridentinisme, et, dans cet ordre d’idées, le pape François n’est absolument pas le premier pape anti-tridentiniste, même si certains de ses prédécesseurs post-conciliaires l’ont été d’une manière modérée, nuancée, ou ne l’ont pas été en qui concerne l’expression, par l’Eglise, de la conception catholique de la morale chrétienne.
La question est donc vraiment de savoir pourquoi certains catholiques ne se réveillent que depuis l’année 2012-2013, alors que d’autres qu’eux, moins nombreux et plus déterminés, ont commencé à se réveiller dès l’année 1962-1963, face à une entreprise de répudiation de “la Tradition et les traditions” (pour reprendre le titre d’un livre d’Yves Congar) presque sans précédent depuis le début de l’histoire de l’Eglise.