Le souffle de Tibhirine

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C’est un film intelligent. Et en disant cela, beaucoup est déjà dit. À une époque où la bêtise règne sans partage, réaliser un film intelligent parlant de la foi permet de sortir la tête de l’eau et de gonfler les poumons ; de se rassasier. Des hommes et des dieux exemplarise la vie des moines. Que les moines du film vivent en Algérie vient en second plan à mon avis. Il vient en second plan pour esquiver le sempiternel débat du « Choc des Civilisations ». Ce débat que les gens aisés traitent par le mépris et que des gens moins bien lotis tentent de fuir au quotidien.

Exemplariser la vie des moines… Quelle gageure. L’écran de cinéma se révèle trop étroit pour montrer la vie des moines. Lambert Wilson exprimait dans un entretien1 la différence fondamentale qui existe entre assister à un office dans un monastère et vivre auprès des moines. Il décrivait parfaitement l’attitude du spectateur qui va passer une heure ou deux dans l’église du monastère pour assister à la liturgie. S’il est évident que ce fidèle participe à l’eucharistie, il est tout aussi évident que la vie du monastère lui échappe complètement. L’intimité du monastère. Cette vie cachée mais visible ; indicible. Lambert Wilson a été estomaqué par cet indicible. Il sentait un grand mystère, il a été abasourdi par sa simplicité.

Le mystère est simple

Un mystère entoure la vie des moines. Et ce mystère réside dans la simplicité. Les mots apparaissent d’un coup d’un seul bien plat à expliquer cette vie. Parce qu’à l’aune du monde moderne, cette vie est vraiment faite de rien. Elle est faite de services rendus, de fraternité, d’amour et d’adoration. Qu’est-ce que c’est que ça ! Ce que le monde moderne ne peut comprendre, ce qu’il ne peut affronter, est le coeur de la vie des moines. Le mystère, l’adoration tonnent d’une terrible simplicité. La simplicité est la différence. On rejoint ici un monde “autre”, bien plus étranger que le monde d’Avatar ou d’E.T, un monde entièrement tourné vers la dévotion, vers cette voix, cette voix de Dieu qui frémit, qui bruisse et guide. La vie des moines est là.

Qu’y a-t-il de visible dans cette attitude ? Rien. Il n’y a que de l’indicible. Xavier Beauvois l’a filmé. Aucune volonté ne peut filmer la grâce2. Il ne s’agit donc pas de volonté de sa part. En fait, il peut y avoir de la volonté mais la réussite n’est pas de lui. Quand la grâce se laisse dire c’est qu’elle l’a bien voulu. C’est la grâce qui permet la grâce. Xavier Beauvois a eu la bonne idée de laisser tous ses apriori et les oripeaux de l’homme moderne à la porte de son film. Il a laissé la caméra capter cette disponibilité. Dieu ne demande rien d’autre que cette disponibilité. Ce coeur intact et prêt à être aimé. Car l’amour du coeur de Jésus n’est rien d’autre que l’amour du coeur des hommes. Au coeur disponible, Dieu apparaît.

Qu’est-ce que la grâce ?

La grâce est l’action de la prière sincère. Et la réponse de Dieu à cette prière et à cette attente. Les moines du film l’expriment parfaitement. A travers la liturgie des heures, à travers l’acceptation de la simplicité, sachant qu’en elle réside l’amour. Quand le père Christophe “n’entend” plus rien et s’en plaint auprès du Père Christian de Chergé (Lambert Wilson) aucune explication n’est donnée. Expliquer quoi ? Il est aisé de comprendre. Le Père Christophe s’englue dans son propre désir de sortir du monastère, son monde choisi devient trop lourd à porter, à supporter, il est là pour la paix, il veut revivre hors de cette violence. Il fléchit un genou. Il demande pourquoi. Il redoute de souffrir. Il frôle l’apostasie. Ses doutes ne s’évanouissent pas tout à fait mais il refera confiance. Il acceptera la simplicité. La simplicité demande un courage infini. Et cela de plus en plus alors que le monde moderne se technicise, et se confond avec la volonté de puissance, qui sert la technique.

Des Hommes et des dieux est simple et courageux. Il aborde toutes les facettes de la vie d’un moine même s’il les montre en pleine tempête de violence. Mais les doutes, les peurs, les chagrins, les silences résonnent toujours, en temps de paix comme en temps de guerre.

La dernière partie du film montre les moines accomplissant leur vie chrétienne parfaite. À l’image de la vie terrestre du Christ. Les moines vivent une cène dont le traitre est absent et leur ascension au Golgotha se fait sous les drues flocons de neige. Un dernier effort. Un dernier supplément d’âme. Avant l’entrée dans la gloire éternelle.

1. Panorama. Septembre 2010.

2. Le Bienheureux cardinal Newman disait ainsi : La grâce […] a renouvelé la nature, elle ne la détruit pas ni ne la suspend, mais l’élève à un ordre supérieur.

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