Faute d’origine

Malgré les doutes de Shûsaku Endo quant à la vraie christianité des Japonais évoquée dans l’admirable « Silence », il m’apparaît aussi que le Japonais a un vrai point commun fondamental avec le chrétien dans la facilité qu’il a à se mettre à la place de l’autre. N’est-ce pas là l’un des socles fondateurs du christianisme, l’un de ces archétypes du Discours sur la Montage, que de toujours penser que notre effort n’a pas été assez important, assez prononcé, pour que l’entente émerge ? Je vois bien sûr la faiblesse du raisonnement : le Japonais essaie inlassablement de se mettre à la place de l’autre culturellement ; il désire aussi mieux se faire comprendre ; il ne connaît pas la culpabilité, mais la honte… Le chrétien doit se mettre à la place de l’autre parce qu’il pense que la faute vient de lui, ce qui ne veut pas dire qu’il a commis la faute, mais plutôt que le manque d’attention à l’autre l’a poussé à ne pas assez travailler à prévenir la faute.

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Pardonnez, il en restera toujours quelque chose…

Dans cette petite réflexion sur le pardon, je voulais juste revenir sur l’insuffisance de dire pardon. Pardonner est quelquefois d’une difficulté extrême. J’avoue garder encore quelques rancoeurs au fond de mon coeur. Je n’ai de cesse de les confesser et de demander un peu de grâce pour attendrir la dureté de mon coeur, mais non, rien n’y fait vraiment, et j’ai plutôt appris à vivre avec cette dureté que j’ai malgré tout réussi à circonscrire, que je n’ai pardonné sincèrement et intimement. Pourquoi ? Pourquoi n’arrivé-je pas à réduire en poussière cette dureté de coeur ? Elle semble comme plus forte que moi et cela m’inquiète, je ne saurais le cacher.

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Emmanuel Todd ou la vulgarité intellectuelle

Emmanuel Todd passait l’autre matin sur France Culture pour nous délivrer sa bonne parole. Emmanuel Todd est un prophète. Il en a la faconde. Il en a la prétention, surtout. Il n’en a pas l’honnêteté. En effet, on ne peut être un prophète et un idéologue.

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Hommage à Jean-Marie Domenach

En relisant des notes prises il y a des années pendant la lecture du Retour du tragique de Jean-Marie Domenach, je me souviens de notre rencontre. Je le vois arrivant dans mon petit studio de la Fourche, me demandant un verre de vin et moi, commençant à lui expliquer par le menu l’orientation que je voulais donner à notre entretien. Et lui me regardant avec des yeux ronds, s’arrondissant encore, et soudainement me lançant enthousiasmé : “Mais vous avez lu mes livres… Je n’ai pas l’habitude de rencontrer des journalistes qui ont lu mes livres”.

Cette rencontre restera comme l’une des très belles rencontres que j’ai réalisées en tant que journaliste. Nous discuterons plus de deux heures de morale et de moralisme, de Saint-Just et de Nietzsche. De Dieu aussi. De Dieu surtout.

Le chemin de Dieu passe par notre humanité…

Extraordinaire passage du Bienheureux cardinal Newman :

En péchant, en souffrant, en nous corrigeant nous-mêmes, en nous améliorant, nous avançons vers la vérité par l’expérience de l’erreur ; nous obtenons le succès à travers l’échec. Nous ne savons comment agir bien sinon après avoir mal agi. […] Nous savons ce qui est bien non de manière positive mais négative ; nous ne voyons pas la vérité d’un seul coup pour nous diriger vers elle, mais nous nous jetons sur l’erreur pour en faire l’expérience, et nous découvrons qu’elle n’est pas la vérité. […] Tel est le mécanisme par lequel nous parvenons au succès ; nous marchons vers le ciel à reculons ; nous visons de nos flèches une cible et pensons qu’il est bien adroit celui dont les ratés sont les moins nombreux.

Le souffle de Tibhirine

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C’est un film intelligent. Et en disant cela, beaucoup est déjà dit. À une époque où la bêtise règne sans partage, réaliser un film intelligent parlant de la foi permet de sortir la tête de l’eau et de gonfler les poumons ; de se rassasier. Des hommes et des dieux exemplarise la vie des moines. Que les moines du film vivent en Algérie vient en second plan à mon avis. Il vient en second plan pour esquiver le sempiternel débat du « Choc des Civilisations ». Ce débat que les gens aisés traitent par le mépris et que des gens moins bien lotis tentent de fuir au quotidien.

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Philia, agapê et autres petites choses…

Les Grecs utilisaient trois mots pour désigner l’amour : l’éros, l’amour charnel, la philia, l’amitié, et l’agapê, l’amour abouti et mature. 

L’amour est-il seulement là pour nous réconforter ? Ne doit-on pas chercher à donner du sens à l’amour comme à chaque événement de la vie ? Seul le sens sauve la condition humaine. Le sens… La grande question. L’incontournable question. Rien ne vaut d’être vécu en l’absence de sens. Le sens est la grande question de l’homme d’autant qu’il n’y comprend rien et n’en maîtrise rien. Comme souvent l’homme maîtrise d’autant moins qu’il s’époumone à croire le contraire. Un amour dont le sens est absent restera un éros. Il est possible de répondre qu’éros aussi donne du sens :  les caresses, les baisers, les corps qui s’emboîtent sont une découverte de l’autre. Si l’éros grec relève le plus souvent du rapt, de la possession, il serait faux de l’y résumer. Les frontières entre les trois amours peuvent être fines. Notre époque aime à relativiser ces frontières. La transgression guette le moindre de nos pas ; ou de nos faux-pas.

Le sens de l’amour nous surpasse, et nous élève. Dieu nous donne Son fils et Le fait mourir sur la croix dans le seul but de donner un sens à nos vies. Il extirpe le pêché en le révélant au grand jour. Il désigne l’amour comme seule alternative au mal. Et l’on doit se souvenir encore de saint Paul :

Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

Quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien.

L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité.

Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.

L’amour ne disparaît jamais.

Les prophéties ? Elles seront abolies.

Les langues ? Elles prendront fin.

La connaissance ? Elle sera abolie.

Car notre connaissance est limitée et limitée notre prophétie. Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant.

À présent, nous voyons comme dans un miroir et de façon confuse, mais alors ce sera face à face.

À présent, ma connaissance est limitée, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand.(1)

On voit que l’agapê trône au sommet de l’amour. L’agapê est cette fin ultime, comme sens véritable de l’amour. À lire saint Paul, on s’aperçoit aussi que l’amitié est tout entier contenu dans l’amour. La philia peut être pensée seule, mais sa finalité chrétienne est de devenir un agapê. On comprend aussi que son échec sera de ne pas réussir cette transformation. Imaginons une philia entre un homme et une femme : il y a toujours un risque de séduction. Qu’est-ce qu’une philia s’abandonnant dans l’éros ?

On notera enfin que l’agapê est un amour dénué de séduction. Il n’utilise pas de “trucs”, d’artifices. Évidemment ceux-là sont laissés au Prince de ce monde.

Une nouvelle amitié, c’est un monde révélé qui s’étend à nos pieds. Quel réflexe avons-nous ? Face à un monde qui s’étend à nos pieds. En sommes-nous responsables (de respondere, en répondons-nous) ? Avons-nous fait quelque chose pour mériter ce nouvel amour ? Non, nous n’avons rien fait. Si peu de sens est sorti de nos gestes quotidiens. Notre premier réflexe est souvent de fouler ce monde aux pieds, car immédiatement face à la beauté nous pensons à nous l’approprier. Voilà l’homme. Ce qui est beau, ce qui est mieux, ce qui nous dépasse, doit nous appartenir. Pas Dieu. Non, pas Dieu. Car l’homme moderne a arrêté de croire en Dieu. Trop grand, trop fort, pas le temps pour ces foutaises qu’il ne peut s’approprier. Ce qui le dépasse ne mérite que possession ou mépris.  Il faut aller toujours plus vite. On n’a pas le temps. Si l’on ne peut posséder, si l’on ne peut jouir, on méprise. On comprend aisément dès lors la popularité d’éros.

À toutes les créatures, il manque quelque chose, et non point seulement de n’être pas créateur.

À celles qui sont charnelles, nous le savons, il manque d’êtres pures.

Mais à celles qui sont pures, il faut le savoir, il manque d’être charnelles.(2)

Alors ce monde qui frappe à la porte ? S’il se donne, on le domine. S’il se donne, on le possède. Il y a là résumé notre suffisance vis-à-vis de l’Autre. Parce qu’il n’y a pas de lieu plus égalitaire que l’amour. L’amour est vérité et tout le monde est égal face à la vérité.

De nombreuses amitiés défaillissent après quelque temps. Dans la majorité des cas, cette défaillance se révèle dès que l’une ou les deux parties s’enorgueillissent. Dès que l’une ou les deux parties veulent posséder, ou se confortent dans un sourd sentiment de supériorité. Dès que l’une ou les deux parties adoptent une position paternaliste il n’y a plus d’écoute. Dès qu’il ne peut plus y avoir de véritable écoute, dès qu’elle est soumise à un jugement de valeur, une hiérarchie invisible et non-dite, mais pleine et entière, s’installe. Il n’y a plus le minimum requis pour se parler et s’entendre. La parole ne fait plus sens.

1- On sait aussi que l’on peut dans cette offrande de saint Paul remplacer le mot amour par le nom de Jésus. On se plaira à réciter ces stances ainsi et de s’en imprégner.

Traduction de l’auteur de la Première Épitre aux Corinthiens de Saint Paul (1 Co 13, 1).

2- Péguy, Le Porche du Mystère de la deuxième vertu.

La haine du chroniqueur

J’intitule cet article la haine du chroniqueur. Le chroniqueur français — parce qu’il s’agit bien d’un mal français — est ainsi qu’il s’invente maître du temps, du monde, et surtout de comment il va. C’est insupportable. Expurgez les chroniqueurs et arrachez les bourgeons !

Tous ces chroniqueurs rassemblés ne forment rien d’autre qu’un Café du commerce. Avec des références.

Je prends pour exemple l’ouverture de l’antenne de France Culture le matin. Depuis 30 ans, j’écoute France Culture tous les matins. Je suis ce que l’on appelle un aficionado de France Culture. Culture Matin de Jean Lebrun a fait partie de mon ADN. Je l’ai aimé jusqu’à ce que son politiquement correct et son partisianisme n’éclatent aux grands jours avec la guerre de Yougoslavie. Heureusement, il quitta le navire qu’il semblait saborder tout seul.

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Encore une escale…

Alvaro Mutis est un très grand écrivain et ce qui ne gâte rien l’un de mes très chers amis. Comme il ne publie plus de livres depuis quelques années, j’ai pensé lui rendre un petit hommage à travers des citations de “La dernière escale du Tramp Steamer”, ce court roman est tout empli de la grâce que la lecture d’Alvaro Mutis procure. Pour re-découvrir l’écrivain colombien.

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