L’enantiodromos, la fourche de la vie

Créon se métamorphose en tyran. Il devient ce qu’il imagine devoir être. C’est l’enantiodromos, ce moment et ce lieu chez les Grecs, qui dit la véritable nature d’un homme quand, à la croisée des chemins, il doit se confronter au choix de la route à suivre. L’enantiodromos est la fourche où naît celui qui devient… À l’instar d’un parvenu prenant possession de la foudre de Zeus, il manque à Créon l’éducation et la compréhension de son pouvoir qui ne peuvent lui être données que par l’autorité. Créon pense en matière de droit quand il devrait d’abord penser en matière de devoir. Être soi n’est jamais une habitude, l’identité est une recherche et une affirmation, un enantiodromos permanent, comme un état de siège, qui suis-je ? Où vais-je ? Il faut sans cesse se remettre en question et explorer le mystère de la vie, mais caparaçonné de ce que l’on sait de soi et de l’accord de soi au monde, c’est-à-dire qu’il y a quelques certitudes, il ne peut pas ne rien y avoir, sinon il n’y a pas d’Antigone…

Prendre sur soi, une transfiguration

Il est difficile de comprendre à notre époque où règne l’individualisme que l’action d’endosser la faute que l’on ne pense pas de soi, que l’on pense de l’autre, mais qui forcément est aussi de soi, forcément, car j’ai déjà commis ce genre de faute par action ou par omission, cette faute ne m’est pas inconnue, l’action d’endosser la faute qui même si elle n’est pas de soi, aurait pu l’être, endosser donc la possibilité de l’exposition de ma faiblesse, moment d’humilité intense et prodigieux, transgresse mon moi et l’oblige à sortir de son confort ; ce geste provoque, sans même que j’ai à l’appeler de mes vœux ou à le rechercher, la traversée de la membrane qui me sépare d’un autre en moi que j’ignore encore, un autre qui surpasse ma nature, peut-être un autre prêter-naturel, la transfiguration qui me permet de devenir plus que moi.

Désir de reconnaissance

La perte de toute reconnaissance à l’époque moderne mêlée à l’individualisme forcené pousse chacun à envier avec appétence toute forme de reconnaissance. Chacun rêve d’un moment de gloire, la forme médiatique étant la plus recherchée qu’elle passe par la télévision ou par les réseaux sociaux, car apparaissant comme une forme de reconnaissance ultime ; la forme en miroir, je suis admiré et j’admire être admiré. L’éphémère règne en condition absolue, cette immédiateté inquiète, car elle interdit le recueillement, l’intime, la vie intérieure en les remplaçant par le vacarme étouffant, la foule procureure, l’indécence perverse.

Qu’est-ce qu’être hors-sol ?

L’exemple le plus éclairant concernant la nature humaine se trouve dans le Nouveau Testament quand Pierre et Jésus-Christ parlent ensemble et que Pierre insiste auprès de son maître pour qu’il croie sa dévotion tout à fait sincère. Ainsi, Jésus lui annonce que le coq n’aura pas chanté qu’il l’aura renié trois fois. Le premier endroit d’où parle tout homme est celui-ci : sa faiblesse. La prise en compte des limites de chacun, non pas toujours pour s’y résoudre, mais aussi pour les surmonter, oblige à raisonner à partir de ce que l’on est et non pas à partir de ce que l’on croit être. Tout homme qui ne connaît pas ses faiblesses, qui les oublie, qui ne les prend pas en compte est hors-sol comme on a pris l’habitude de le dire de nos jours. Hors-sol signifiant que l’on est nourri par un pâturage qui n’est pas le nôtre, que l’on renie son pâturage pour trouver tout autre pâturage que le sien meilleur, car autre. Hors-sol signifie aussi que les propos reçus pourraient être obtenus partout ailleurs dans le monde sans que cela pose problème, ces propos étant sans racines, traduisible en toute langue et exportable tel un « framework » en informatique. L’objectif se caractérise par la volonté d’atteindre un tel niveau d’abstraction et de déracinement que la question n’aura même plus de sens.

Blanc de Saint Bonnet sur la France contemporaine

En 1851, Blanc de Saint Bonnet disait :

Quand les hommes perdent de vue les nécessités morales, Dieu fait sortir la lumière des nécessités d’un autre ordre. Si la foi n’est plus reçue par l’oreille, elle nous sera enseignée par la faim. Le christianisme constituera la société moderne où la verra voler en éclats. Les faits économiques, avant peu, mettront les vérités à nu. Vos lois auront tout reconnu, tout consacré et tout administré ; les moyens humains seront tous employés : jamais armée plus nombreuse, jamais législation plus complète, jamais administration plus puissante ; alors, arrivé au bout des causes secondes, vous viendrez vous briser contre la cause première ! Ce ne sera plus la doctrine méconnue que l’on entendra, ce ne sera plus la conscience inécoutée qui criera.  Les faits parleront leur grande voix. La vérité quittera les hauteurs de la parole ; elle entrera dans le pain que nous mangeons, dans le sang dont nous vivons ; la lumière sera du feu. Les hommes se verront entre la vérité et la mort… auront-ils l’esprit de choisir ?

Hannah Arendt sur le fonctionnalisme des sciences sociales

Je ne crois pas que l’athéisme soit un substitut ou puisse remplir la même fonction qu’une religion, pas plus que je ne crois que la violence puisse devenir un substitut de l’autorité. Mais si nous suivons les exhortations des conservateurs qui, en ce moment, ont une assez bonne chance d’être entendu, je suis tout à fait convaincu que nous n’aurons pas de difficulté à produire de tels substituts, que nous utiliserons la violence et prétendrons avoir restauré l’autorité ou que notre redécouverte de l’utilité fonctionnelle de la religion produira un ersatz de religion — comme si notre civilisation n’était pas suffisamment encombrée de toutes sortes de pseudos choses et de choses dépourvues de sens.

Spectacle “Mais toujours reviennent des temps…” – 2ème Régiment Etranger d’Infanterie (1991)

Spectacle « Mais toujours reviennent des temps… » — 2ème Régiment étranger d’infanterie (1991) de Emmanuel Di Rossetti sur Vimeo.

Le 31 août 1991, le 2ème Régiment étranger d’Infanterie fêtait au cours d’une cinéscénie exceptionnelle son 150ème anniversaire, la bataille d’El Moungar et son retour de l’opération Daguet, la première Guerre du Golfe. 30 000 spectateurs nîmois assisteront à cet événement qui commença dans la journée avec les légionnaires habillés en costumes authentiques placés dans les conditions et les décors de différentes époques, et qui se poursuivra tard dans la nuit avec le spectacle proprement dit joué par François Gamard, Jérôme le Paulmier et Richard Bohringer1 en façade du stade des Costières (180 mètres de scène !).

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Pie X à la béatification de Jeanne d’Arc

Le 13 décembre 1908, à la béatification de Jeanne d’Arc, Pie X prononçait ces paroles qui restent dans les mémoires :

« vous direz aux Français qu’ils fassent leur trésor des testaments de Saint-Rémy, de Charlemagne et de Saint-Louis qui se résument dans ces mots si souvent répétés par l’héroïne d’Orléans : vive le Christ qui est roi de France ! À ce titre seulement la France est grande parmi les nations. À cette clause, Dieu la protégera et la fera libre et glorieuse. À cette condition, on pourra lui appliquer ce qui dans les Livres saints est dit d’Israël que personne ne s’est rencontré qui insultât ce peuple sinon quand il s’est éloigné de Dieu. »

Antigone, insoumise et intime (4/7. La liberté)

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Antigone n’a pas pris vie au crépuscule. Antigone nait avec l’aube. C’est au point du jour, qu’Antigone devient anti ce qui signifie face à et non pas contre. Au reflux de l’armée d’Argos, Antigone sort de l’ombre où elle aurait pu résider toute sa vie, non pas pour résoudre l’énigme de la sphinge comme son père, non pas pour résoudre l’énigme des étapes de la vie, mais pour remplir l’espace entre chacune d’elles. Œdipe s’y est arraché la peau, les ongles, les phalanges. Le crépuscule décrit un état incertain aussi bien matin que soir. Antigone point avec le jour, avec l’aube, quand la liberté prend vie, et donc corps.

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